Norodom Sihanouk, Sihamoni et le Cambodge

L’histoire du Cambodge depuis 1941 se confond avec celle des Norodom, Sihanouk le « Roi-père » (1922-2012), même s’il a plusieurs fois abdiqué1, et son fils Norodom Sihamoni né en 1953, Roi depuis 2004.

NB : s’agissant de Norodom Sihanouk, Jean Marie Cambacérès qui l’a côtoyé lui a consacré le seul livre en français : « Sihanouk, le roi insubmersible », paru en 2013 aux éditions du Cherche-Midi.
Il y a de la folie dans le Cambodge dont les Khmers rouges2 ont massacré un quart à un cinquième de la population3 et où encore aujourd’hui des opposants au Premier ministre Hun Sen, ancien cadre Khmer rouge, que Lee Kwan Yew, pourtant pas un tendre, décrivait comme « parfaitement impitoyable et implacable, dénué de tout sens humain » disparaissent. Sihanouk, qui a eu 9 incarnations politiques 4, a au moins été paternaliste, considérant ses sujets comme des enfants. Hun Sen est moins débonnaire.
Sihanouk a d’abord été éduqué en français au lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon, au Vietnam. Les autorités françaises espéraient que le futur Roi serait ainsi plus facile à contrôler : lourde erreur, il a déjà manifesté une volonté farouche qu’il allait sans hésiter manifester toute sa vie, « fou génial » capable de faire tourner à son avantage toutes les situations y compris les plus compromises. Dès la fin de la 2ème guerre mondiale, il utilisa l’incapacité de la France à faire face à l’occupation japonaise pour réclamer l’indépendance de son pays.
La puissance coloniale ne l’entendait pas ainsi, continua à se battre – mal- contre le Viet Minh jusqu’à la défaite à Dien Bien Phu le 7 mai1954 sanctionnée par les Accords de Genève du 21 juillet 1954 mettant fin à la première guerre d’Indochine.

Mais les Etats-Unis, que la guerre froide contre l’URSS convainquit de continuer la guerre, au prix de pertes considérables pour eux-mêmes et énormes pour le Vietnam, durent à leur tour reconnaître la victoire du Viet Minh marquant la réunification du pays en 1975.

Cependant, au Cambodge en 1970, le général Lon Nol avait profité de l’absence de Sihanouk du royaume pour le renverser par un coup d’État, soutenu par Washington5 qui n’acceptait pas son neutralisme, Celui-ci avait notamment permis au général de Gaulle de prononcer en 1966 le fameux discours de Phnom Penh affirmant qu’on pouvait rejeter le communisme sans pour autant s’aligner sur les Américains.

En 1975, la victoire du Viet Minh a permis celles du Pathet Lao et des Khmers rouges. Chassé de Phnom Penh, exilé à Pékin, Sihanouk s’est allié aux assassins Khmers rouges pour redevenir symboliquement chef de l’Etat quand ceux-ci ont pris le pouvoir en avril 1975 avec les conséquences que l’on sait6.
Ainsi, les foucades de Norodom Sihanouk sont toujours passées après sa volonté inébranlable de défendre l’indépendance du Cambodge.
Elle a permis une opération de rétablissement de la paix sous l’égide des Nations Unies qui mérite d’être résumée.
L’invasion vietnamienne en décembre 1978 et la chute du régime Khmer Rouge ouvrent un long processus largement sous l’égide de la France permettant la signature des Accords de Paris le 29 octobre 1991 entérinés par le CSNU et par le SG des Nations Unies. Le 9 janvier 1992, Boutros-Ghali nommait Akashi Yasushi son représentant spécial à la tête de l’APRONUC qui aboutit le 28 février 1992 à la résolution 745 du Conseil de sécurité des Nations unies et à des élections démocratiques le 28 février 1993 7.

Cela a été possible en mettant autour de la table des dizaines de pays dont les 5 membres permanents du CSNU, 45 pays ont ensuite apporté leur supervision militaire et civile ; et en associant au sein du Conseil national suprême des partis politiques que tout opposait – ce fut difficile : la République populaire du Kampuchea et les trois composantes de son opposition (les royalistes du FUNCINPEC, les républicains du Front national de libération du peuple khmer et les dirigeants Khmers rouges regroupés au sein du Parti du Kampuchéa démocratique (PKD).

De cette longue et fragile négociation est sorti un gouvernement de coalition et finalement la paix à laquelle Sihanouk, rétablissant une monarchie constitutionnelle le 24 septembre 1993, a présidé jusqu’à son abdication pour raisons de santé en octobre 2004.8

Animal politique, celui-ci a toujours su aussi s’adonner aux plaisirs de la vie.
Plaisirs culturels : adorant le cinéma, il était lui-même producteur et réalisateur, tout en parlant un français excellent en défendant l’ex-colonisateur car cela lui assurait une moindre dépendance envers les étrangers, notamment les Etats-Unis10, y compris en achetant des armes françaises. C’est à la France, plus précisément à l’Ecole française d’Extrême-Orient, qu’il a fait don de ses archives en 2004, estimant non sans raison qu’elles y seraient plus en sécurité que dans son pays, compte tenu de ce qu’il y avait vécu.

Plaisirs plus terre-à-terre aussi : il a aimé la bonne chère et a eu 6 épouses qui lui ont donné de nombreux enfants...Aimant offrir des fêtes au cours desquelles il chantait, il pouvait servir du champagne et des canapés au foie gras à ses visiteurs à l’heure du petit-déjeuner. (note n°9)

Quant à son fils Sihamoni, il n’était pas le premier dans l’ordre de succession, c’était avant tout un artiste qui mourait de faim, au point qu’une Française récemment disparue et d’une immense générosité lui a donné à manger quand, danseur, il vivait à Paris alors que la situation créée par le pouvoir des Khmers rouges lui avait coupé les vivres.
C’est lui qui est devenu Roi et pour la remercier, car elle avait aussi vécu des années au Cambodge encore en lutte pour se décoloniser, elle fut invitée à son intronisation11.
Sihanouk avait alors disparu mais cette générosité, ce refus des conventions – il considérait le fait d’être Roi comme une charge que lui avait imposé le destin plus que comme un prétexte à profiter des avantages du pouvoir – lui correspondaient sans doute.

Le « Roi-fils » est encore jeune et l’histoire montre qu’on ne sait ce que deviennent les monarques vieillissants. On sait en revanche que « le Roi-père » a jusqu’au bout bénéficié d’une aura auprès de la majorité de ses sujets – surtout les paysans – qui l’a rendu, au fil du temps, intouchable. Même un vrai dictateur comme le Premier ministre a dû en tenir compte.
Et le monde compte aujourd’hui plus de dictateurs que d’hommes politiques respectant ceux qu’ils gouvernent. Le Cambodge offre à cet égard, depuis son indépendance, l’exemple du pire comme du meilleur.

1 Dès 1955 pour être Président et obtenir la décolonisation.
2 Souvent inspirés par de grands intellectuels français..
3 Dont 5 des 14 enfants de Norodom Sihanouk et au moins 15 de ses petits-enfants.
4 De Roi, il est devenu Président en 1955, en exil en 1970, à nouveau après de brefs espoirs mais les Vietnamiens ont préféré Hun Sen jusqu’à son retour en 1991 et sa dénonciation des crimes commis par les Khmers rouges et aux élections supervisées par les Nations Unies de 1993 qui lui ont permis de redevenir Roi jusqu’à son abdication annoncé en 1999.
5 Sihanouk y a vu la main de la CIA
6 L’Occident a été long à s’en rendre compte. Intellectuels et journalistes de gauche français ont d’abord cru au discours des Khmers rouges prétendant créer un « homme nouveau » en déportant la population des villes, à commencer par Phnom Penh, à la campagne.
7 On aimerait que les Nations Unies aient le courage de s’en inspirer pour résoudre d’autres crises actuelles.
8 Ce processus est fort bien décrit par le Directeur d’Asie du MAE de l’époque, l’ambassadeur Claude Martin, dans son livre « La diplomatie n’est pas un dîner de gala ».
9 Témoignage personnel
10 Discours de Phnom Penh du général de Gaulle devant 100 000 personnes en 1966, qui partageait avec le Roi Sihanouk l’amour de la langue française et la volonté farouche d’indépendance battue en brèche par l’impérialisme américain.
11 Source personnelle

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Norodom Sihanouk, Norodom Sihamoni and Cambodia,

The history of Cambodia since 1941 is intertwined with that of the Sihanouks, Norodom the "King-father" (1922-2012), even if he often abdicated1 , and his son Norodom Sihamoni born in 1953, has been King since 2004.
NB : as regards Norodom Sihanouk, Jean Marie Cambacérès who worked with him dedicated the only book in French to him : "Sihanouk, le roi insubmersible", published in 2013 by Cherche-Midi.

There is madness in Cambodia, where the Khmer Rouge2 massacred a quarter to a fifth of the population3 and where even today opponents of Prime Minister Hun Sen, described by Lee Kwan Yew as "perfectly ruthless and implacable, devoid of any human sense", disappear. Norodom, who had 9 political incarnations 4, was at least paternalistic, considering his subjects as children. Hun Sen is less debonair.
Sihanouk was first educated in French at Chasseloup-Laubat High School in Saïgon, Vietnam. The French authorities hoped that the future King would thus be easier to control : a serious mistake, he had already shown a fierce will that he would without hesitation manifest all his life, "crazy genius" able to turn to his advantage all situations including the most compromised.
At the end of World War 2, he used the inability of the France to cope with the Japanese occupation to demand the independence of his country.
The colonial power did not see it that way, continued to fight – badly – against the Viet Minh until the defeat at Dien Bien Phu on May 7, 1954 sanctioned by the Geneva Accords of July 21, 1954 ending the First Indochina War.
But the United States, which the Cold War against the USSR convinced to continue the war, at the cost of considerable losses for themselves and enormous for Vietnam, in turn had to recognize the victory of the Viet Minh marking the reunification of the country in 1975.
However, in Cambodia in 1970, General Lon Nol had taken advantage of Sihanouk’s absence from the kingdom to overthrow him by a coup d’état, supported by Washington5 who did not accept his neutralism which had notably allowed General de Gaulle to deliver in 1966 the famous speech of Phnom Penh claiming that one could reject communism without aligning with the Americans.
In 1975, the victory of the Viet Minh allowed those of the Pathet Lao and the Khmers Rouges. Driven from Phnom Penh, exiled in Beijing, Sihanouk allied himself with the Khmer Rouge assassins to symbolically become Head of State again when they took power in April 1975 with the consequences that we know 6.
Thus, Norodom Sihanouk’s foucades have always passed after his unwavering will to defend Cambodia’s independence.
It has enabled a Peacemaking Operation under the aegis of the United Nations that deserves to be summarized.
The Vietnamese invasion in December 1978 and the fall of the Khmer Rouge regime opened a long process largely under the aegis of France, allowing the signing of the Paris Agreements on October 29, 1991 endorsed by the UNSC and the United Nations Secretary-General. On 9 January 1992, Boutros-Ghali appointed Akashi Yasushi as his Special Representative to head UNTAC, which resulted in United Nations Security Council Resolution 745 on 28 February 1992 and democratic elections on 28 February 1993 7.
This was possible by bringing around the table dozens of countries including the 5 permanent members of the UNSC, 45 countries that then provided military and civilian supervision ; and by associating within the Supreme National Council political parties that everything opposed – it was difficult : the People’s Republic of Kampuchea and the three components of its opposition (the Royalists of FUNCINPEC, the Republicans of the National Front for the Liberation of the Khmer People and the Khmer Rouge leaders grouped within the Democratic Kampuchea Party (PKD).
From this long and fragile negotiation emerged a coalition government and finally peace to which Sihanouk, re-establishing a constitutional monarchy on September 24, 1993, presided until his abdication for health reasons in October 2004.8
A political animal, he has always known how to indulge in the pleasures of life .
Cultural pleasures : adoring cinema, he was himself a producer and director, while speaking excellent French in defending the ex-colonizer because it ensured him a lesser dependence on foreigners, especially the United States10, including by buying French weapons. 
It was to France, more precisely to the French School of the Far East, that he donated his archives in 2004, believing not without reason that they would be safer there than in his country, given what he had experienced.
More down-to-earth pleasures too : he loved good food and had 6 wives who gave him many children... Loving to offer parties during which he sang, he could serve Champagne and foie gras canapés to his visitors at breakfast time. (note n°9)
As for his son Sihamoni, he was not the first in the order of succession, he was mostly an artist who was dying of hunger, to the point that a recently disappeared French woman of immense generosity gave him food when, as a dancer, he lived in Paris while the situation created by the power of the Khmer Rouge had cut off his supplies.
It was he who became King and to thank her, because she had also lived for years in Cambodia still struggling to decolonize, she was invited to his enthronement 11.
Sihanouk had then disappeared but this generosity, this refusal of conventions – he considered the fact of being King as a burden imposed on him by fate rather than as a pretext to enjoy the advantages of power – probably corresponded to him.
The "King-Son" is still young and history shows that we do not know what happens to aging monarchs. On the other hand, we know that "the Father King" has until the end benefited from an aura with the majority of his subjects – especially the peasants – which has made him, over time, untouchable. Even a real dictator like the Prime minister had to take that into account.
And the world today has more dictators than politicians who respect those they govern. Cambodia has set an example of both the worst and the best in this regard since its independence.

1 From 1955 to be President and obtain decolonization.
2 Often inspired by great French intellectuals.
3 Including 5 out of Norodom Sihanouk’s 14 children and at least 15 of his grandchildren.
4 From King, he became President in 1955, in exile in 1970, again after brief hopes but the Vietnamese preferred Hun Sen until his return in 1991 and his denunciation of the crimes committed by the Khmer Rouge and the elections supervised by the United Nations in 1993 that allowed him to become King again until his abdication announced in 1999.
5 Sihanouk saw there the hand of the CIA.
6 The West has been slow to realize this. French left-wing intellectuals and journalists initially believed in the Khmer Rouge’s discourse claiming to create a "new man" by deporting the population from the cities, starting with Phnom Penh, to the countryside.
7 We would like the United Nations to have the courage to draw inspiration from it in order to resolve other current crises.
8 This process is very well described by the MFA’s Asia Director at the time, Ambassador Claude Martin, in his book "Diplomacy is not a gala dinner".
9 Personal record.
10 Phnom Penh speech by General de Gaulle to 100,000 people in 1966, who shared with King Sihanouk the love of the French language and the fierce desire for independence deconstructed by American imperialism.
11 Personal source.