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Un voyage au Japon/A trip to Japan

mercredi 20 décembre 2023, par Yves

Les raisons personnelles d’aller au Japon, où l’auteur de ces lignes
s’est rendu pour la première fois en 1988, sont nombreuses. 8 ans de séjour, un voyage par an au moins sauf durant la pandémie font qu’on peut avoir l’impression de bien le connaître mais non, chacun son Japon et l’archipel change plus qu’on ne le croit trop souvent.

Il y a de bonnes et de moins bonnes habitudes. On réunit chaque année les anciens encore présents du service de presse de l’ambassade de France, où cet auteur sévit il y a quelques années, maintenant dirigé par un de ses anciens collaborateurs à Vientiane, alors attaché économique. Le monde est petit, mais tant de glorieux souvenirs à évoquer !

C’est aussi l’occasion de parler du présent, en particulier celui de la presse et de l’information. Il devient rarissime de voir des journaux-papier : dans le métro, dans la rue, presque tous sont rivés à leur smartphone ; des quotidiens, on n’en trouve plus facilement, il n’y a plus de « kiosques ». Sans doute peut-on recevoir le journal chez soi puisque l’abonnement reste une pratique courante, mais surtout on s’informe autrement, quitte à se contenter des écrans qui font dans le métro un rapide résumé de l’actualité.

Les grands quotidiens nationaux comme Asahi et Yomiuri, leaders mondiaux, ont été fondés l’un et l’autre dans les années 1870, ils étaient déjà « en crise » dans les années 2000 mais ils sont toujours en vie. Réponse à une diffusion en baisse : réduction des frais généraux, dont le nombre de correspondants et de bureaux à l’étranger, et de fructueuses opérations immobilières surtout à l’époque de la « bulle ».
Quant au contenu, le journal papier reste fort diversifié. Quand on en trouve, les articles sont nombreux et souvent très détaillés, plus que dans des pays comparables.

Au-delà de la presse, la présence de l’Histoire dans les situations actuelles, notamment de conflit, est bien souvent lacunaire ; trop de gens, journaux ou pas, ne s’intéressent qu’à ce qui se passe le jour-même, comme si les années et les siècles précédents n’y jouaient aucun rôle. En somme, le « journal » s’intéresse aux faits du jour, le lendemain il passe à d’autres sujets. Cette évolution concerne certes la presse libre un peu partout mais celle de l’archipel reste imposante.

Actualité récente :
Un acteur important de l’Histoire du Japon, Ikeda Daisaku, est mort à 95 ans. Outre ses responsabilités de Président de la Soka Gakkai, secte bouddhiste, et de création du parti actuellement gouvernemental qui s’en inspire, le Komeito, il avait aussi lancé la branche « étranger » de la même organisation avec un certain succès puisqu’elle a essaimé dans de nombreux pays.
La presse quotidienne en a parlé bien sûr mais au bout d’un jour ou deux, elle est rapidement passée à autre chose sans analyser le rôle que lui et son organisation jouaient dans le Japon contemporain.

Il est vrai que le sort du premier ministre Kishida intéresse davantage, d’autant qu’il est fragile et retient l’attention, comme il est normal dans une démocratie.
Il avait décidé, au moment où nous quittions l’archipel, de purger son parti, le PLD (Parti Libéral-Démocrate), de tous ses membres de haut niveau qui étaient soupçonnés de corruption ou de conflits d’intérêt – vaste programme. Mais au sein même de ce parti, au pouvoir depuis 1955 à part de brèves alternances, de fortes oppositions se manifestaient contre une telle purge, d’autant que M. Kishida, qui n’appartient pas à la faction majoritaire présidée avant son assassinat par le premier ministre Abe Shinzo, voit sa cote de popularité baisser de manière continue, or une règle non écrite veut qu’en-dessous de 20% il faut procéder à de nouvelles élections générales.
Certes, la faction Abe reversait à certains de ses membres des « rétrocommissions » (mot bien connu mais qui semble faire actuellement florès dans la presse nippone) pour les remercier de financements non déclarés. Mais M. Kishida ne peut remplacer tous ceux qu’il voudrait… A suivre, ce vieux feuilleton de rapports entre le pouvoir politique et l’argent défraie la chronique dans bien des pays !
Alors, dans un tel contexte, faut-il dissoudre pour provoquer de nouvelles élections générales ? Faut-il changer de premier ministre ?
L’auteur de ces lignes ayant beaucoup fréquenté la bibliothèque de la Diète, gigantesque Bibliothèque nationale, a souvent entendu les échos radiodiffusés du débat parlementaire et des manifestations d’opposants – pacifiques aujourd’hui - dans ce pays où le peuple a droit à la parole.
Ce qui ne change pas au Japon, c’est l’impression de sécurité ressentie dès l’aéroport, c’est la gentillesse avec laquelle les gens renseignent dans une jungle urbaine qui reste difficile à comprendre ; mais la géopolitique est très présente, du conflit à Gaza aux missiles nord-coréens dont l’un est allé s’écraser au-delà d’Okinawa.
Cette île méridionale, théâtre de combats acharnés en 1945, un ami français vivant au Japon dit combien les Américains y sont encore chez eux puisque les MP (Police militaire) se promènent fusil d’assaut M16 en bandoulière pour récupérer les soldats en goguette… Géopolitiques et à la fois historiques, les sempiternels conflits avec la Corée du Sud sur les « femmes de réconfort », dont on dirait qu’ils ne se résoudront pas plus que celui qui oppose - mais là, c’est une guerre toujours plus sanglante - Israëliens et Palestiniens.

Et l’économie ?
Yamaha : comment une entreprise créée avant Meiji (1868) n’a cessé de se diversifier et de s’adapter aux circonstances politiques pour rester un des principaux acteurs économiques du pays, constituant un conglomérat, ce que réprouvent les économistes conformes.
Or elle n’a fait que tenir compte des évolutions dans la vie des affaires. L’entreprise a fait ce qu’elle savait faire - au début, des pianos, donc elle avait besoin d’artisans sachant travailler le bois qui ont été bien utiles pour fabriquer les hélices de navires de guerre. Celle-ci perdue et le Japon soumis aux « recommandations » du GHQ (Haut commandement américain) lui déconseillant d’exceller dans ce domaine, elle s’est tournée vers les motos : la haute croissance apportait aux Japonais le pouvoir d’achat nécessaire.
C’est aujourd’hui une des entreprises qu’on remarque au « Tôkyô motor show », grand salon auto-moto, et elle fabrique presque tout ce qui comporte un moteur, y compris des bateaux, du hors-bord au paquebot, mais aujourd’hui encore des pianos dont certains automatiques, elle gère des écoles où on apprend sérieusement la musique.
A l’inverse, Toshiba qui a fait la fierté du Japon avec de bons ingénieurs, disent ses actionnaires, va devoir sortir de la cotation car elle est en quasi faillite. Sa gouvernance est condamnée. Un fonds de restructuration conduit par des entreprises japonaises devrait éviter sa fermeture. Sans entrer dans le détail, il semble bien que cette entreprise, créée en 1875, n’a pas su s’adapter à un monde en fréquent changement et notamment aux difficultés du nucléaire, un de ses fleurons.
Au jour le jour, les Japonais disent qu’ils s’appauvrissent alors que leur pays est riche. Ainsi, selon le « Weekly Economist », hebdomadaire nippon, « les salaires stagnent parce que si les personnes âgées et les femmes sont entrées sur le marché du travail, le nombre de personnes supplémentaires disponibles pour travailler est en train de s’épuiser. À première vue, le point de départ de l’inflation est la hausse des prix à l’importation due à l’augmentation des prix du pétrole et à l’affaiblissement du yen, mais il y a également eu une pénurie de main-d’œuvre concomitante. (…) Au cours des deux dernières années, les ménages ont connu une détérioration unilatérale de la façon dont ils perçoivent leurs conditions de vie, et l’ampleur cumulée de la détérioration est à peu près la même que celle du choc Lehman en 2008. On peut dire qu’un "choc Lehman pour les ménages" est en train de se produire. C’est dire à quel point les hausses de prix actuelles frappent durement les ménages. »
Comme ailleurs, l’inflation frappe plus durement les ménages les moins fortunés.

Pourtant, les scandales ne cessent pas : corruption, évasion fiscale auxquelles les Jeux Olympiques ont donné une particulière vigueur dans un pays qui les pratique de longue date, les échanges de services rendus les ont facilitées. Le sujet croustillant de la période est celui d’une agence de gigolos (au Japon, on dit « hôtes » dont le rôle est surout de dérider les femmes trop occupées).

Problèmes communs à toute l’humanité, celui de l’énergie et du réchauffement climatique présentent dans l’archipel une gravité particulière dépuis l’accident nucléaire de Fukushima en mars 2011, dont le Japon n’a pas fini de payer le prix. Voilà qu’il vient, avec l’autorisation de l’AIEA, de rejeter à la mer les effluents débordants de la centrale contaminée. Les pays voisins protestent et en particulier la Chine ; or celle-ci est le 1er marché d’exportation du Japon suivi des Etats-Unis, du Taïpeh chinois et de la Corée du Sud - beaucoup de mécontents ! La Chine a, en rétorsion, suspendu l’importation des produits de la mer et les producteurs de coquilles Saint Jacques, frappés de mévente, espèrent que la Corée du Sud, dont le Président se montre de bonne volonté à l’égard de l’archipel, ne lui emboîtera pas le pas.
La grande voisine est d’ailleurs au centre de toutes les conversations, une véritable obsession en particulier des journalistes : inquiétante, elle est chargée de tous les péchés, dont certains la dépassent . On sait comment elle a créé des postes d’atterrissage sur ce qui n’étaient que des récifs submergés à marée haute, s’appropriant ainsi de vastes points d’appui. Veut-elle ainsi étrangler l’archipel ? On y reviendra.

Et la France, dans tout ça ? A part les touristes, de retour après la Covid, une multitude de signes – l’étiolement de l’usage du français au profit non seulement du mandarin et du coréen, mais aussi de l’anglais bien sûr comme de l’allemand - montrent que son influence recule.
Le chef de file de « l’école française » du Gaimusho (Ministère japonais des affaires étrangères) est maintenant vice-ministre, le plus haut grade avant d’être ambassadeur. Est-on bien conscient de la chance que cela représente dans un monde où « les autres ne pensent pas comme nous » comme l’affirme dans ses mémoires celui qui fut - il est un peu plus âgé - son homologue français ?
Cette ouverture aux autres, dont le manque fut sans doute une des raisons des folies aventuristes du Japon des années 1930-1945, elle pourrait à nouveau l’entraîner dans la guerre et beaucoup en sont conscients. Iront-ils jusqu’à s’y opposer ? Voyons si les prochaines élections générales (au plus tard janvier 2025) portent au pouvoir un autre Japon, plus ouvert aux influences étrangères que sa majorité conservatrice.
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There are many personal reasons to visit Japan, where the author of these lines first went in 1988. 8 years in the country, one trip a year at least except during the pandemic means that you might have the impression that you know it well, but no, everyone has their own Japan, and the archipelago changes more than we often think.

There are good habits and not-so-good habits. Every year, we get together the former members of the press department of the French embassy, where this author worked a few years ago, and which is now run by one of his former colleagues in Vientiane, who was then the economic attaché. It’s a small world, but so many glorious memories to recall !

It’s also an opportunity to talk about the present, in particular the press and information. It’s becoming rare to see newspapers : in the metro, in the street, almost everyone is glued to their smartphone ; dailies are no longer easy to find, there are no more "newspaper booths". It’s true that you can get your newspaper at home, as subscriptions are still common practice, but above all you get information in a different way, even if it means having to make do with the screens that give you a quick summary of the news in the metro.

The major national dailies such as Asahi and Yomiuri, world leaders, were both founded in the 1870s, and were already in ’crisis’ by the 2000s, but they are still alive and kicking. The response to declining circulation has been to reduce overheads, including the number of correspondents and offices abroad, and to make profitable property deals, especially during the ’bubble’ period.
As for content, the newspaper remains highly diversified. When they are available, the articles are numerous and often very detailed, more so than in comparable countries.

Beyond the press, the presence of History in current situations, particularly conflicts, is often lacking ; too many people, newspapers or not, are only interested in what is happening on the day, as if the preceding years and centuries played no role. In short, the "newspaper" is interested in the facts of the day, and the next day it moves on to other subjects. This trend is certainly affecting the free press everywhere, but the archipelago’s press remains impressive.

Recent news :
An important figure in Japanese history, Ikeda Daisaku, has died aged 95. In addition to his responsibilities as President of the Soka Gakkai, a Buddhist sect, and the creation of the current government party based on it, the Komeito, he had also launched the ’foreign’ branch of the same organisation, with some success since it spread to many countries.
The daily press covered it, of course, but after a day or two it quickly moved on without analysing the role that he and his organisation played in contemporary Japan.

It is true that the fate of Prime Minister Kishida is of greater interest to the press, especially as his fragility is attracting attention, as is normal in a democracy.
As we were leaving the archipelago, he had decided to purge his party, the LDP (Liberal Democratic Party), of all its high-level members who were suspected of corruption or conflicts of interest - a vast programme. But even within this party, which has been in power since 1955 apart from brief changes, there was strong opposition to such a purge, especially as Mr Kishida, who does not belong to the majority faction presided over before his assassination by Prime Minister Abe Shinzo, has seen his popularity ratings fall steadily, and there is an unwritten rule that below 20%, new general elections must be held.
It is true that the Abe faction was paying some of its members "kickbacks" (a well-known word that seems to be in vogue in the Japanese press at the moment) to thank them for undeclared funding. But Mr Kishida can’t replace everyone he wants... To be continued, this old soap opera about the relationship between political power and money is making headlines in many countries !
So, in such a context, should he dissolve the government and call a new general election ? Should the party change prime minister ?

As a frequent visitor to the Diet Library, the gigantic National Library, the author of these lines has often heard the radio echoes of parliamentary debate and opposition demonstrations - peaceful today - in this country where the people have the right to speak.

What hasn’t changed in Japan is the sense of security you feel as soon as you arrive at the airport, and the kindness with which people provide information in an urban jungle that is still difficult to understand ; but geopolitics is very much present, from the conflict in Gaza to the North Korean missiles, one of which crashed beyond Okinawa.
This southern island was the scene of fierce fighting in 1945, and a French friend living in Japan says that the Americans are still at home there, since the MPs (Military Police) walk around with M16 assault rifles slung over their shoulders to pick up soldiers on the go... Geopolitical and historical at the same time, the never-ending conflict with South Korea over "comfort women", which looks as if it will never be resolved any more than the conflict between Israelis and Palestinians, although this is an increasingly bloody war.

And the economy ?
Yamaha : how a company created before Meiji (1868) has constantly diversified and adapted to political circumstances to remain one of the country’s main economic players, forming a conglomerate, something that conformist economists disapprove of.
But all it has done is take account of changes in business life. The company did what it knew how to do - in the beginning, pianos, so it needed craftsmen who knew how to work with wood, who were very useful in making propellers for warships. But when WWII war lost, and Japan was subject to the "recommendations" of the GHQ (US High Command) that it should not excel in this field, it turned to motorbikes : high growth provided the Japanese with the necessary purchasing power.
Today, it is one of the companies that stands out at the Tôkyô motor show, and it manufactures almost everything with an engine, including boats, from speedboats to ocean liners, and even today pianos, some of which are automatic, and runs schools where music is taught seriously.
Conversely, Toshiba, which made Japan proud with its good engineers, according to its shareholders, is going to have to delist because it is virtually bankrupt. Its governance is doomed. A restructuring fund run by Japanese companies should prevent its closure. Without going into detail, it seems that this company, founded in 1875, has not been able to adapt to a rapidly changing world, and in particular to the difficulties of the nuclear industry, one of its flagships.

On a daily basis, the Japanese say they are getting poorer, even though their country is rich. According to the Weekly Economist, "wages are stagnating because while older people and women have entered the labour market, the number of extra people available to work is running out. At first sight, the starting point for inflation is the rise in import prices due to the increase in oil prices and the weakening of the yen, but there has also been a concomitant labour shortage (...) Over the past two years, households have experienced a one-sided deterioration in the way they perceive their living conditions, and the cumulative scale of the deterioration is about the same as that of the Lehman shock in 2008. We could say that a ’Lehman shock for households’ is happening. That just goes to show how hard current price rises are hitting households.”
As elsewhere, inflation is hitting the least well-off households hardest.

Yet the scandals continue : corruption, tax evasion, which the Olympic Games have given a particular vigour in a country that has long practised them, and exchanges of services have facilitated them. The juicy story of the period is that of an agency of gigolos (in Japan, they are called "hosts", whose role is above all to cheer up women who are too busy).

The problems of energy and global warming, which are common to all mankind, have taken on a particular gravity in the archipelago since the Fukushima nuclear accident in March 2011, and Japan is still paying the price. Now, with the authorisation of the IAEA, it has dumped the overflowing effluent from the contaminated plant into the sea. Neighbouring countries are protesting, particularly China, which is Japan’s No. 1 export market, followed by the United States, Chinese Taipei and South Korea. In retaliation, China has suspended imports of seafood products, and scallop producers, hit by poor sales, are hoping that South Korea, whose President has shown goodwill towards the archipelago, will not follow suit.

The big neighbour is at the centre of all conversations, a veritable obsession for journalists in particular : worrying, it is charged with all the sins, some of which go beyond it. We know how it has created landing places on what used to be submerged reefs at high tide, thus appropriating vast points of support. Does it want to strangle the archipelago in this way ? We’ll come back to that later.

And what about France ? Apart from the tourists returning after Covid, there are a multitude of signs - the erosion of the use of French in favour not only of Mandarin and Korean, but also of English and German - that its influence is waning.
The leader of the ’French school’ at the Gaimusho (Japanese Ministry of Foreign Affairs) is now a vice-minister, the highest rank before ambassador. Are we fully aware of the opportunity this represents in a world where "others don’t think like we do", as the man who was his French counterpart - a little older - says in his memoirs ?
This openness to others, the lack of which was undoubtedly one of the reasons for Japan’s adventurist follies between 1930 and 1945, could once again lead to war, and many are aware of this. Will they go so far as to oppose it ? Let’s see if the next general election (in January 2025 at the latest) brings to power a different Japan, one that is more open to foreign influences than its conservative majority.