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Elections sénatoriales au Japon/ Senate elections in Japan
lundi 21 juillet 2025, par
Un vote pour rien ?
A vote for nothing ?
Le 20 juillet 2025 avait lieu, au suffrage universel direct, le renouvellement par moitié de la chambre haute (Sénat) du Japon, qui comprend 248 sièges : 100 à la proportionnelle nationale et 148 à la proportionnelle départementale.
Le dépouillement du scrutin sénatorial, au suffrage universel direct au Japon, a pris du temps mais les résultats que le Premier ministre Ishiba Shigeru (Parti libéral démocrate, PLD, conservateur) a reconnus sont une cuisante défaite pour la coalition qu’il préside : le PLD a 39 élus et le Komei (d’inspiration bouddhiste) 8 élus, loin de la majorité absolue (125 sièges). Le PLD est au pouvoir depuis 1955 à part deux brèves interruptions en 1993-94 puis 2009-2012.
Indéniablement, M.Ishiba aura du mal à sauver son poste malgré son invocation de l’intérêt national, à 10 jours de l’entrée en vigueur des droits Trump. Le Parti démocrate constitutionnel (PDC), lointain successeur du parti socialiste, dont l’actuel Président M. Noda a déjà gouverné en 2011-2012, a plutôt réussi avec 22 élus et est le mieux placé dans l’opposition, mais son programme, dont les mesures phare sont la baisse de la taxe sur l’essence et la suppression de la taxe à la consommation sur les produits alimentaires, suffira-t-il à lui permettre d’être à nouveau Premier ministre ?
Avant même le scrutin du 20 juillet, la presse a publié de nombreux articles. Les supputations, parfois appuyées sur des sondages, sont allées bon train : le taux de participation allait-il pâtir de l’émiettement des candidatures ? Le désintérêt, notamment des jeunes, pour "la politique" allait-il s’accentuer ? Un thème a fait florès : "Il y a trop d’étrangers au Japon", en particulier des touristes qui jettent par terre les papiers gras, ne connaissent pas les jours de tri et sont trop nombreux sur les sites les plus connus. On le trouve moins dans la grande presse que sur les réseaux sociaux : selon certains, le gouvernement aurait délivré aux Chinois un grand nombre de visas pour noyer la population "authentiquement japonaise" - en somme, le grand remplacement...
Au point que le mauvais résultat du PLD serait en partie dû à cette rumeur dont le Parti populiste xénophobe du Sanseitô, 14 sièges, et d’autres partis d’extrême-droite Restauration (comme sous Meiji qui en avait fait le slogan de l’impérialisme nippon), 7 sièges et le Parti conservateur, 2 sièges, sont les principaux bénéficiaires.
Restent inquiétants les enjeux géopolitiques : Chine, Corée du Nord et maintenant Etats-Unis. Un récent webinaire d’experts et professeurs japonais, indonésiens et philippins suivi par l’auteur de ces lignes mettait l’accent sur la sécurité maritime. Initialement consacré à l’Indonésie – 17 500 îles - dont 70% du territoire est en mer, la discussion s’est élargie à l’Asie du Sud-Est où l’aide japonaise au développement joue un rôle majeur puis aux incursions des navires et avions de chasse de la République populaire de Chine (RPC) en mer du Japon ainsi qu’au non-respect par la RPC du code de conduite.
Les discussions ont commencé dans les années 60 mais le 13 juillet dernier, la Chine et les membres de l’ASEAN ont conclu un accord pour accélérer les négociations en vue d’un « code contraignant de conduite en Mer de Chine du Sud ». La Chine a jusqu’à présent traîné les pieds sur tout accord qui limiterait ses marges de manœuvre alors qu’elle a tracé sur la carte une ligne à 9 traits couvrant une bonne partie de ctte zone où elle multiplie quotidiennement les incursions. Elle a déjà rejeté la sentence de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) rendue en juillet 2016, arbitre établi en 1982 sous l’égide de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, avis qui enjoignait la Chine et les Philippines de trouver un accord sur la délimitation de leur frontière maritime. La Chine a ignoré cette décision et continué, au prix de gros travaux de terrassement, d’occuper le terrain aux dépens des intérêts de pays d’Asie du Sud-Est : Vietnam, Philippines, Malasisie, Brunei et Indonésie.
Or les incursions chinoises concernent aussi le Japon, qu’elles aient lieu dans l’espace maritime ou aérien nippon.
Voilà donc l’archipel aux prises avec la PRC et le vieux rêve d’une « sphère de coprospérité » asiatique battu en brèche par le grand voisin.
Longtemps, le Japon a pu compter sur la protection des Etats-Unis mais l’attitude fluctuante du Président Trump montre que ce n’est plus le cas. Pire, sa menace d’une hausse rédhibitoire des droits de douane, l’exigence d’une augmentation du coût de la défense alors que la grande majorité de l’électorat vit chichement ajoute au sentiment général d’insécurité.
Cette impression d’être environnés de pays hostiles ou indifférents pousse une partie des électeurs nippons à se réfugier dans la xénophobie, voire un régionalisme douteux. Ainsi le jour-même du scrutin, le quotidien de centre gauche, tokyoïte comme le sont tous les grands journaux, Mainichi Shimbun, affecte de s’interroger : « le Parti de la restauration du Japon, Reiwa Shinsengumi, le Parti des suffragettes, le Parti conservateur du Japon et l’organisation politique NHK Party, si vous regardez les antécédents des chefs de parti, vous constaterez qu’ils ont grandi et étudié à Osaka. Il doit y avoir une raison » et le quotidien tokyoïte de mener l’enquête…
Il y a bien une identité d’Osaka, différente de celle de Tokyo et autres régions, même la langue parlée, le mode de vie, l’humour etc, ne sont pas les mêmes. De là à en faire un critère de différenciation politique nourrit un discours nationaliste qui fait écho, là aussi, à un certain passé.
PLD et Komeitô, alliés de longue date, vont perdre la majorité, il leur faudra donc pour rester en place faire alliance mais avec qui ?
Face au poids encore jamais atteint de la dette publique (plus de 236 % du Produit Intérieur Brut en 2024), les partis populistes refusent qu’elle soit en partie comblée par une augmentation de la taxe à la consommation qu’en revanche propose le premier ministre Ishiba. Il fait flèche de tout bois, promettant une hausse de l’argent versé par l’Etat à tous les foyers, invoque l’influence sur le scrutin de puissances étrangères. En dépit de ces « promesses » et de tels propos d’une crédibilité douteuse, il risque de perdre son mandat…
Commentaires
1/ M. Ishiba espérait que des élections sénatoriales réussies ouvriraient la voie à une dissolution anticipée de la Chambre des représentants élue le 11 novembre 2024, la majorité absolue n’étant rendue possible que par l’appoint du Parti Démocrate du Peuple. Cela paraît impossible, mais une alliance de gauche avec le PDC n’est guère envisageable.
2/ Au Japon, c’est toujours des grandes entreprises qu’a dépendu la prospérité de l’économie. Les marchés n’ont quasiment pas bougé à la suite des résultats électoraux. L’opinion est en fait beucoup plus préoccupée de la forte augmentation des droits de douane prévue par M. Trump le 1er aout. C’est d’ailleurs la proximité de cette dramatique échéance qu’a invoqué M. Ishiba pour rester fidèle au poste. L’électorat a-t-il voté pour rien ? M. Ishiba n’est pas le premier à trouver dans l’union nationale une raison de garder sa fonction.
3/ Le taux de participation n’a pas encore été mesuré, mais il est déjà certain que ce sont les jeunes qui votent le moins et le scrutin du 20 juillet risque fort d’accentuer cette désaffection.
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Japan’s senatorial elections : a vote for nothing ?
On 20 July 2025, half of Japan’s Upper house (Senate) was renewed by direct universal suffrage. It comprises 248 seats : 100 by national proportional representation and 148 by departmental proportional representation.
It took some time to count the votes in Japan’s Senate, which is elected by direct universal suffrage, but the results acknowledged by Prime Minister Ishiba Shigeru (conservative Liberal Democratic Party, LDP) were a crushing defeat for the coalition he chairs : the LDP won 39 seats and the Buddhist-inspired Komei won 8, far short of an absolute majority (125 seats). The LDP has been in power since 1955, apart from two brief interruptions in 1993-94 and 2009-2012.
Mr Ishiba will undoubtedly find it hard to save his position, despite his invocation of the national interest, 10 days before the Trump rights come into force. The Constitutional Democratic Party (PDC), the distant successor of the Socialist Party, whose current President Mr Noda already governed in 2011-2012, has been fairly successful with 22 elected members and is the best placed in opposition, but will its programme, whose flagship measures are the reduction in petrol tax and the abolition of consumption tax on food products, be enough to enable him to be Prime Minister again ?
Even before the ballot on 20 July, the press was full of articles. Speculation, sometimes based on polls, was rife : would voter turnout suffer as a result of the fragmentation of candidatures ? Would young people in particular lose interest in ‘politics’ ? One theme came to the fore : ‘There are too many foreigners in Japan’, in particular tourists who throw greasy paper on the ground, don’t know the sorting days and there are too many of them at the best-known sites. It’s not so much in the mainstream press as on social networks : according to some, the government has issued large numbers of visas to the Chinese in order to drown out the “authentically Japanese” population - in short, the great replacement...
To the extent that the LDP’s poor result is partly due to this rumour, the main beneficiaries of which are the xenophobic populist Sanseitô Party (14 seats), other far-right Restoration party (as under Meiji, which made this the slogan of Japanese imperialism) (7 seats) and the Conservative Party (2 seats).
The geopolitical stakes remain worrying : China, North Korea and now the United States. A recent webinar attended by Japanese, Indonesian and Filipino experts and professors focused on maritime security. Initially devoted to Indonesia - 17,500 islands - 70% of whose territory is at sea, the discussion widened to Southeast Asia, where Japanese development aid plays a major role, and then to incursions by ships and fighter planes from the People’s Republic of China (PRC) in the Sea of Japan and the PRC’s failure to comply with the code of conduct.
Discussions began in the 1960s, but on 13 July China and ASEAN members reached an agreement to speed up negotiations on a ‘binding code of conduct in the South China Sea’. China has so far dragged its feet on any agreement that would limit its room for manoeuvre, despite the fact that it has drawn a 9-dash line on the map covering a large part of this zone, where it is increasing its incursions on a daily basis. China has already rejected the July 2016 award of the Permanent Court of Arbitration (PCA), an arbitrator established in 1982 under the United Nations Convention on the Law of the Sea, which ordered China and the Philippines to reach an agreement on the delimitation of their maritime boundary. China ignored this decision and continued, at the cost of major earthworks, to occupy the land at the expense of the interests of the countries of Southeast Asia : Vietnam, the Philippines, Malaysia, Brunei and Indonesia.
Chinese incursions also affect Japan, whether they take place in Japanese airspace or at sea.
The Japanese archipelago is now at loggerheads with the PRC, and the old dream of an Asian ‘co-prosperity sphere’ is being dashed by its big neighbour.
For a long time, Japan was able to count on the protection of the United States, but President Trump’s fluctuating attitude shows that this is no longer the case. Worse still, his threat of an unacceptable increase in customs duties and his demand for higher defence spending at a time when the vast majority of the electorate is living on a shoestring adds to the general feeling of insecurity.
This impression of being surrounded by hostile or indifferent countries is pushing some Japanese voters to take refuge in xenophobia and even dubious regionalism. On polling day itself, the centre-left daily Mainichi Shimbun, a Tokyoite like all the major newspapers, had this to say : "The Japan Restoration Party, Reiwa Shinsengumi, the Suffragette Party, the Conservative Party of Japan and the political organisation NHK Party, if you look at the backgrounds of the party leaders, you will see that they grew up and studied in Osaka. There must be a reason", and the Tokyo daily investigates...
There is indeed an Osaka identity, different from that of Tokyo and other regions, even the language spoken, the way of life, the humour etc, are not the same. From there, making this a criterion for political differentiation feeds a nationalist discourse that, here too, echoes a certain past.
The PLD and Komeitô, long-time allies, are set to lose their majority, so in order to stay in power they will have to form an alliance, but with whom ?
Faced with an unprecedented level of public debt (more than 236% of gross domestic product in 2024), the populist parties refuse to allow it to be partly offset by an increase in consumption tax, which Prime Minister Ishiba is proposing. He is going all out, promising an increase in the money paid by the state to all households, and invoking the influence of foreign powers on the vote. In spite of these ‘promises’ and such comments of dubious credibility, he risks losing his mandate...
Comments
1/ Mr Ishiba had hoped that successful senatorial elections would pave the way for an early dissolution of the House of Representatives elected on 11 November 2024, as an absolute majority would only be possible with the support of the People’s Democratic Party. This seems impossible, but a left-wing alliance with the CVP is hardly conceivable.
2/ In Japan, the prosperity of the economy has always depended on big business. The markets hardly moved following the election results. Public opinion is in fact much more concerned about the sharp increase in tariffs planned by Mr Trump on 1 August. In fact, it was the proximity of this dramatic deadline that Mr Ishiba used as a reason to remain in office. Did the electorate vote for nothing ? Mr Ishiba is not the first to find national unity a reason to keep his job...
3/ The turnout has not yet been measured, but it is already certain that it is young people who vote the least, and the ballot on 20 July is likely to accentuate this disaffection.
Voir en ligne : https://www.gavroche-thailande.com/