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Corruption

samedi 31 juillet 2021, par Yves

La corruption a longtemps été officielle pour les grands contrats et a affecté le monde entier. Diverses conventions internationales sont censées l’empêcher mais les grands groupes se sont organisés pour pouvoir continuer à la pratiquer de manière officieuse au bénéfice des puissants.

La corruption est à la fois universelle et de tout temps. Il peut être dangereux, parfois mortel, de la dénoncer ou simplement d’en parler. Comme le dit l’avant-propos, ’Les couteaux suisses des montages tordus, les sociétés-écran ’triangles des Bermudes de la transparence des comptes’, le trou noir de la finance, les ’sociétés sur étagères’, les nominee directors, beneficied owner et autres registered agents : bienvenue dans l’univers de la fraude, face cachée de l’humanité’.

La plupart du temps, on ne va pas jusqu’aux extrêmes.

C’est sans doute pourquoi je me suis plongé dans le livre qui va faire l’objet d’une rapide synthèse :

« La corruption, comment ça marche ? Fraude, évasion fiscale, blanchiment » (de Noel Pons, Ed. du Seuil), est un livre rempli de références philosophiques et écrit dans un français parfait. L’auteur se garde en général de citer des noms dont le délit de corruption n’a pas déjà été rendu public.

De ce livre de 537 pages, nous avons choisi de retenir les mécanismes, entreprises, personnes qui concernent l’Asie, instrument ou victime. D’autres régions du monde, souvent plus impliquées à commencer par l’Occident, ont donc été laissées de côté.

Rassurons le lecteur mais pas le défenseur de la vertu, les exemples de ’fraude évasion fiscale et blanchiment’ ne manquent pas, y compris dans les pays dits démocratiques. Internet a rendu la corruption plus facile car ’tout le monde dispose de la même boite à outils’ (p.15).

Pays plus ou moins autoritaires

Quant aux pays plus ou moins autoritaires, ce n’est pas dans un livre qu’on va les trouver, non que la corruption en soit absente mais elle se fait plus discrète, soit que l’absence d’un système moderne de traçage des criminels leur permette aisément de passer au travers, soit que les fonctionnaires censés lutter contre les corrupteurs aient toujours mieux à faire que de remplir leur mission...

1/ Quelles sont les personnes qui sont citées ? Corrompus ou pas, on y trouve deux Présidents de la République en exercice, Jacques Chirac (cf ci-dessous p 107-108), Nicolas Sarkozy qui proclamait fièrement après un G20 : ’les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé !’. Deux anciens Premiers ministres, Raymond Barre en 1986, mais le fruit de ses rapines n’est apparu que 30 ans plus tard et Édouard Balladur (également p 107-108). Pierre Moscovici, qui n’a été que ministre, proclamait la même chose au nom de l’UE une décennie plus tard. Un autre ministre en exercice, Jérôme Cahuzac, a commis de sang froid les crimes que l’on sait depuis 2013.

Un autre Président en exercice, Donald Trump, y aurait également eu recours vis-à-vis de ses enfants, le but étant toujours de payer moins d’impôts. Plus riche qu’un ministre au point d’acheter les votes de ses électeurs, Serge Dassault a repris le flambeau de fraudeur de son père, sans le talent du fabricant d’avions.

Moins riche sans doute, une Amy Lo, gestionnaire de fortune à UBS, n’a pu que jouer un rôle dans ce mécanisme.

Riche et puissant aussi au point de se prendre pour Louis XIV, Carlos Ghosn dont les avanies sont bien connues (p 204-207) et sur lequel l’auteur de ces lignes a déjà écrit. Il n’a pas été jugé hors du Japon dont il estime le système judiciaire et carcéral indignes d’une démocratie. A suivre...

2/ Quelles sont les entreprises évoquées et les pays qui les accueillent ?

’Les banques sont très présentes dans les paradis fiscaux’ (p.26-31) et elles le sont particulièrement dans les rétrocommissions (kickbacks). 

Le but premier sur un plan légal a été de ne pas payer l’impôt sur le revenu au début du XXème siècle. Le crime organisé s’en est vite emparé mais c’est surtout à partir des années 1970 que la fraude a pris son essor, 250 Milliards de dollars par an selon certaines évaluations. 

Quels sont alors les pays impliqués ? Une première liste ne comprenait qu’un pays asiatique sur 6, Hong Kong. Mais les listes ont varié avec le temps et sont devenues un instrument politique à leur tour sans véritable cohérence, ainsi de pays marginaux par rapport au phénomène comme la Malaisie ou les Philippines. On voit le premier faciliter l’exportation de charbon vietnamien en Corée du Nord qui utilise le crime organisé pour contourner l’embargo dont elle est l’objet. Mais on trouve aussi les « suspects habituels », y compris ceux qui donnent des leçons de vertu au reste du monde comme Singapour qui en fait joue son rôle habituel de soutien de ceux qui ont de l’argent, seule religion de la cité-Etat, et le favorisent d’où qu’il vienne. 

On y trouve surtout la géographie de la puissance : les empires coloniaux et aujourd’hui la Chine.

Les banques les plus actives sont encore les banques suisses mais leurs filiales asiatiques se chargent de faire le travail malpropre, au premier rang desquelles UBS à Hong Kong mais aussi Crédit suisse, Julius Baer, EFG, J.Safraa Sarasin, Pictet et UBP et même la Banque cantonale genevoise(p 64-65).

C’est peut-être à Karachi (Pakistan) que se trouve l’exemple le plus tragique de liens entre hommes politiques et criminels de haut niveau (l’ancien Premier ministre Edouard Balladur, finalement relaxé faute de preuves) pour mettre en place un système facilitant les rétrocommissions mais condamnées par son rival Jacques Chirac après sa défaite électorale. 11 morts, probablement faute d’avoir payé son dû au porteur de valises et à ses complices... (p 107-108)

Changeons de lieu et d’époque pour évoquer les GAFAM, certes essentiellement américaines mais les Google, Amazon et autres Facebook ne sont-elles pas mondialisées  ? Aucun continent n’y échappe et surtout pas la Chine. Elles aussi misent sur les paradis fiscaux pour payer peu ou pas d’impôts tout en accédant aux marchés les plus rémunérateurs. (p 217).

3/ Des règles en sont cependant issues même si elles ne sont pas toujours convaincantes.

Tracfin en 1990, le Réglement Général de la Protection des Données (RGPD), instrument de lutte contre l’utilisation frauduleuse de données par les GAFAM (p 227) ; ne soyons pas étonnés que Jacques Maire et Ugo Bernalicis aient estimé dans un rapport parlementaire que le régime de contrôle était « illisible’ (p.266).

L’ONU a produit la convention de Merida, son principal instrument de lutte contre la corruption et identifié le Japon et la Corée du Sud parmi les pays en infraction. Mais bizarrement on n’y trouve pas le Royaume-Uni malgré le contrat Al Yamamah permettant à l’Arabie Saoudite d’acheter des avions britanniques en échange de son pétrole. Si ce n’est pas de la corruption, cela y ressemble (p 270).

Enfin la Chine est de tous les trafics, de même la Corée du Nord qui n’existe que parce que la Chine la protège, mais aussi la Corée du Sud censée faire partie des démocraties riches membres de l’OCDE et loin d’être ’vaccinée’ contre ce mal aussi mondial que la pandémie covidienne.

Conclusions : 1/ Seule remarque négative que suscite cet excellent ouvrage : le lecteur pressé pourrait retirer l’impression que son auteur met sur le même plan puissants et misérables, mais cela tient en fait à la structure de l’ouvrage. Qui tire parti de cette ’boîte à outils’, décrite avec un luxe de détails, si ce n’est les corrupteurs eux- mêmes ?

2/ Il faut parfois se ressaisir pour parvenir à lire sans nausées un tel livre, tant l’étalage que fait cet expert - un demi-siècle et ce n’est pas fini - d’observation du mal est à la limite du supportable. Certains accumulent des milliards mal acquis alors que des multitudes ont à peine de quoi vivre. L’auteur consacre des dizaines de pages à la défense du bien par les lanceurs d’alerte et à la nécessité de les protéger car sans eux, les méfaits ne peuvent que s’aggraver en nourrissant le crime organisé.

Soyons optimistes : des progrès ont été faits pour une plus grande transparence comme la Convention de l’OCDE, la Convention de Merida, plus récemment la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique ou le Règlement Général de Protection des Données.

D’autres progrès sont encore nécessaires et possibles, souvent grâce à des femmes comme les juges ou anciennes juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky (les deux se sont ensuite lancées en politique, la première au parlement européen, la seconde actuellement députée à l’Assemblée nationale). Il faut espérer pour le bien de la démocratie que ces efforts porteront leurs fruits.

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Corruption is universal in space as in time. It can be dangerous, sometimes deadly, to denounce it or just to talk about it. As the foreword of the book says, “Swiss knives of crooked mounting, shell companies which are “Bermuda triangles of accounting transparency”, the black hole of finance, the “companies on shelves”, nominee directors, benificied owners and other registered agents : welcome to the universe of scam, the hidden face of humanity”.

Most of the times, it doesn’t go to extremes.That is why I dove into this book which will go through a quick review :

“Corruption, how does it work ? Fraud, tax evasion, laundering” (frome Noël Pons, Ed. Du Seuil) is filled with philosophical references and written in a perfect French.

From these 537 pages, excerpts concerning Asia, instrumental or victim, have been retained whether they are about mechanisms, companies or sometimes people. Other parts of the world, often more implicated including the West, have therefore been left aside.

Let’s comfort the reader but not necessarily those who like righteousness : examples of “fraud, tax evasion and laundering” are not in short supply, including in countries deemed to be democratic. Internet has made corruption easier because “everybody can use the same toolbox”.

As for countries which have more or less authoritarian rulers, don’t look into books to find examples, which doens’t mean corruption doesn’t exist there but it is less visible, whether the absence of an efficient tracking of criminals allows them to easily go through, or that the officers who should take care of them are too busy to do their job...

1/ What persons are mentioned ?

Corrupted or not, two Presidents of the French Republic are quoted, Jacques Chirac [1], Nicolas Sarkozy who proudly proclaimed after a G20 “Tax paradises, bank secrets, it’s over !”. Two former Prime ministers, Raymond Barre in 1986, but his plunder was revealed 30 years later and Edouard Balladur (op cit). Pierre Moscovici, who was only a cabinet minister, said the same as Nicolas Sarkozy as a EU commissioner 10 years later. Another cabinet minister, Jérôme Cahuzac, committed from cold blood the crimes everybody knows from 2013.

Another ruling President, Donald Trump, might also have used tax evasion in the name of his children, the target being again to pay less taxes. Richer than a minister and thus able to buy his constituency, Serge Dassault took the helm from his father but without his ability to design planes.

Probably less rich, Amy Lo, a private banker in UBS, probably played a role in this mechanism.

Rich and powerful to the point to play as Louis XIV is Carlos Ghosn, whose misfits are well known [2]and about whom this author already wrote. He was not judged outside Japan since he says its judicial system is unworthy of democracy. To be followed...

2/ Which companies and countries where they are located are mentioned ?

“Banks are very present in tax paradises” [3]and they notably are in kickbacks.

The first aim was to pay less taxes in the beginning of the 20th century. Organized crime quickly took control but it is mostly in the 70’s that fraud regsitered growth, 250 billion $ according to some evaluations.

What countries were involved ? A first list mentioned only one Asian territory out of six, Hong Kong. But lists changed with time and became in turn a political instrument without coherence, as shows countries which are not central to the process like Malaisia or Philippines. The latter facilitated coal exports from North Korea which uses organized crime to bypass the embargo it is suffering. But the “usual suspects” too are there, including Singapore which likes to lecture the rest of the world while accepting money wherever it comes from provided it brings it wealth, the only religion tolerated in the city-state.

Tax heavens mainly reflect power geography : former colonial Empires and now China.

The most active banks are again Swiss banks but their Asian subsidiaries now do the ugly business, first rank UBS in Hong Kong but also Crédit suisse, Julius Baer, EFG, J.Safraa Sarasin, Pictet and UBP and even the Banque cantonale genevoise. [4]

Karachi (Pakistan) may be the most tragic example of links between politicians and high level criminals (the former Prime minister Edouard Balladur, who was eventually discharged for lack of proofs) to set a system which allowed kickbacks but was doomed by rival Jacques Chirac when he was defeated at elections. 11 died probably because the one who carried the money and his accomplices were not paid their due... [5] .

Let’s change the scene to mention GAFAM, mostly Americans but aren’t Google, Amazon or Facebook globalized ? No continent eludes them not even China. They too use tax heavens to pay little or none taxes while selling in the biggest markets. [6]

3/ Rules came out of that situation even if they sometimes look fragile.

Tracfin in 1990, the General Data Protection Rule (GDPR), an instrument to fight fraudulous usage of data by GAFAM [7], let’s not be surprised that Jacques Maire and Ugo Bernalicis believed in a parliamentary report that the control regime was “unreadable”. [8]

The UN produced the Merida convention, its main weapon against corruption and identified Japan and South Korea among the countries breaking the law. But strangely, the United Kingdom is not mentioned although the contract Al Yamamah allowes it to sell weapons to Saudi Arabia in exhange for petrol. If it is not corruption, it looks very much like it... [9].

Finally, China belongs to all kinds of trafics, the same as North Korea which still exists because China protects it, but also South Korea whis is an OECD rich member and is far from being “vaccinated” against that plague as worldwide as Covid pandemics.

Conclusions : 1/ The only negative remark about this excellent opus : the hurried reader could get the impression that the powerful and the miserable act the same, but it is due to its structure. Who can use that toolbox, described with a wealth of details, if not the corruptors themselves ?

2/ It needs sometimes to get its act together to be able to read such a nauseous description, the way this expert – half a century and it’s not over – in fighting and observing the evil makes a show of the unbearable. A few accumulate ill-gotten billions while a hord of people hardly have enough to survive. The author writes dozens of pages about whistle blowers and the need to protect them because without them, harms feeding organized crime can only get worse.

Let us be optimistic : better has been done in the way of transparency like the OECD Convention, the Merida Convention, more recently the High Authority for Transparency of Public Life (HATVP) or the GDPR.

Other efforts have to be done, often with the help of women such as judges or former judges like Eva Joly and Laurence Vichnievsky (both were then in politics, the latter in the European Parliament and the former presently a member of the French Parliament). Let us hope that these efforts will be fruitful for the sake of democracy.

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[1Pp 107-108

[2Pp 204-207

[3P 26-31

[4Pp 64-65

[5Pp 107-108

[6P 217

[7P 227

[8P 266

[9P 270