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Chine et Nouvelles routes de la soie.

dimanche 30 juin 2019, par Yves

Plus qu’un plan de conquête, le pouvoir chinois cherche à exploiter, notamment par l’endettement, les opportunités qui se présentent et qu’il lui arrive de provoquer. Mais il peut aussi échouer, par exemple en Afrique où son modèle égocentrique provoque des émeutes, et dans les pays voisins où on ne souhaite pas lui être lié.
More than a conquest plan, the Chineses ruler seeks to take benefit of opportunites when they arise and that sometimes it creates. But it can also fail, especially in Africa where its selfish ways provoke riots, and neighbouring countries which don’t want to be linked to it.

Les routes de la soie : à qui va le profit, la Chine ou les pays au bord de la route ?

1/ Introduction
1.1 J’ai eu la chance de voir l’ article, sur lequel j’appuierai mon exposé de ce soir, publié en urgence dans « Le Monde » le 7 avril. Malgré mes propositions, il avait été ignoré jusqu’à la visite en France de Xi Jin Ping. Leçon : la presse ne s’intéresse qu’aux sujets d’actualité !
1.2 Ecrit à l’origine par un ami américain travaillant pour le PNUD, il reflète naturellement son approche même si j’y ai mis mon grain de sel : inquiétude vis-à-vis d’un nouvel impérialisme, celui de la Chine après les Etats -Unis (piège de Thucydide). Les routes de la soie ont de tout temps véhiculé la domination d’une puissance sur le monde et c’est ce que mon exposé va mettre en perspective.
1.3 Religion, idéologie et commerce ont été longtemps étroitement liés, en particulier à l’égard de la Chine, cf attitude de la France.

2 Arrière-plan historique appuyé sur deux ouvrages : « Les routes de la soie » Peter Frankopan et « la France en Chine » Bernard Brizay chez Perrin.
Il y a près de 5000 ans, entre Orient et Occident, à travers les steppes d’Asie centrale, les Perses créent la route de la soie, suivis par Rome, dont les moralistes déplorent le succès d’un tissu qui ne cache rien des formes féminines… et coûte une fortune, la moitié de la production annuelle de monnaie de l’Empire ! mais aussi échange avec corail, topaze, encens.
Le commerce au long cours transforme les villes, comme Palmyre et Petra. L’Empire romain déclinant se déporte vers l’Est : Constantinople .
Les religions suivent la même route, en particulier le christianisme sur les traces du judaïsme, mais aussi d’Asie vers sa périphérie le bouddhisme jusqu’en Chine. Elles servent de véhicule à l’Islam dans son expansion. Elles contribuent à la prospérité des califats, tout en étant ouvertes aux non-musulmans alliés aux musulmans contre Rome. C’est ainsi que l’Islam s’impose en Iran, Egypte, et échoue en Gaule (Charles Martel) par manque d’opportunités. C’’est vers l’Est que se dirigent les armées musulmanes, par Samarcande, puis les abords de la Chine. Des villes-marché se développent : Bagdad, Mossoul, Basra. Le papier favorise les échanges.
L’inspiration Tang pénètre l’industrie potière. Les producteurs de fourrures (Scandinaves puis Russes) commercent peaux, ambre et argent, cire ambre et miel. Les esclaves , africains et turcs, occupent une place majeur dans les ventes.
Les villes russes qui montent au XI ème siècle sont plus proches de l’Orient que de l’Occident : Kiev, Novgorod dont les familles régnantes sont apparentées à celles des royaumes européens.
1095 1ère croisade (Urbain II) qui aboutit à la prise de Jérusalem en 1099 marque le triomphe de l’Occident chrétien non seulement sur les musulmans mais aussi sur d’autres chrétiens, les Byzantins, mais ce sont surtout les cité-Etats italiennes, déjà bien implantées sur les routes commerciales, qui en tirent profit : Venise, Gênes, Pise, qui ont su nouer des relations profitables avec l’Islam.
Influence intellectuelle dans les deux sens. Le commerce est nourri de soie, coton, lin et tissus fabriqués en Chine et ailleurs. Epices via Constantinople, Jérusalem et Alexandrie : poivre, cannelle, alun, vernis, muscade, lin, girofle, bois d’aloès, sucre, poisson salé, encens, cardamome, ammoniaque, ivoire, etc. Les Croisades enrichissent aussi bien les intermédiaires musulmans que les marchands italiens.
Les rivalités s’aiguisent entre Occidentaux et Saladin en profite, ce qui suscite la chute de Jérusalem. Les croisés partis pour la reprendre se détournent vers Byzance, pillée puis vers l’Egypte, mais les Mongols de Gengis Khan (GK) tirent les marrons du feu. Après avoir établi sa domination sur le Proche-Orient, GK se tourne vers la Chine qu’il soumet en y bâtissant des infrastructures et enfin vers l’Europe, mais son successeur Ogodei meurt en 1241 avant d’avoir conquis l’Europe. Les Mongols se jettent alors sur la Chine où ils fondent Pékin fin du XIIIème siècle. L’Empire mongol est tellement vaste que fin XIIIème siècle il se fractionne. Les implantations européennes en terre sainte n’en profitent guère et disparaissent mais les commerçants italiens étendent leur mainmise.
Les Mongols s’emparent de Bagdad, riche entrepôt de soieries. Ils taxent modérément les transactions (3 à 5%) ad valorem, créent un système postal efficace, canalisent les meilleurs vers le service de l’Etat tout en se montrant tolérants sur la pratique religieuse, s’enrichissent au passage. Leurs pratiques, y compris diététiques, pénètrent l’ensemble de l’Asie : Chine, Inde et les récits de Marco Polo nourrissent l’imaginaire des Européens.
En diffusant des innovations monétaires comme billet à ordre et papier monnaie et en injectant de grandes quantités d’argent, ils favorisent la monétisation et le commerce.
Cependant, la peste à partir de 1340 empoisonne les routes de la soie et l’Europe perd au moins 1/3 de sa population. Ensuite, les jeunes survivants ont un appétit de consommation de produits de luxe, Venise supplante Gênes. Les Chinois se renforcent, expédition de l’amiral Zheng He, Pékin se modernise et étend sa domination, le Siam expédie des tonnes de poivre, bois de santal et d’encens. En Chine, cet essor fait la fortune de villes commerçantes comme Suzhou.
Tamerlan, empereur mongol à partir de 1360, bâtit un Empire de l’Asie Mineure à l’Himalaya, centré sur Samarcande ; une crise monétaire et le changement climatique conduisent à une crise mondiale et à la chute de Constantinople en 1492, qui avait accueilli juifs et musulmans chassés d’Espagne en 1453.
Au même moment, Ch Colomb et Vasco de Gama se mettent en route et l’Europe, de terminus des routes de la soie, devient centre du monde. Gama concrétise les promesses de Colomb en explorant la route du Sud jusqu’aux Indes via Malindi. Traité de Tordesillas (1494) ouvre la voie à la conquête par Magellan de l’Asie de l’Est : Philippines et Moluques.
Malgré des épisodes violents, la route de l’Orient impulse davantage la coopération que la conquête. Dans les boutiques de Lisbonne, porcelaine chinoise et soieries Ming s’ajoutent aux épices : poivre, muscade, girofle, gingembre, bois de santal, cardamome et curcuma, pour leur goût mais surtout pour leurs supposées vertus médicinales.
Les enjeux commerciaux sont tels qu’Erasme pense que la confrontation entre ottomans et chrétienté ést imminente ; au contraire, tous tirent profit de l’expansion commerciale : Soliman le magnifique au 16ème siècle à Erdine comme la Perse à Ispahan. Les principaux bénéficiaires sont l’Inde, la Chine et l’Asie centrale, producteurs de produits d’exportation. Le Taj Mahal date de cette époque (début XVIIème siècle). Ormuz devient le carrefour de toutes les nationalités. Manille devient la première ville mondialisée de la planète et sa concurrence affaiblit l’empire ottoman. En Chine, la fabrication de porcelaines et soieries à destination des marchés européens est stimulée par les quantités d’argent issu des colonies.
En Europe, le combat naval en est encouragé : invincible armada défaite en 1588, abstention des Anglais à Lépante (1571). Marginalisée par les conquêtes espagnole et portugaise, elle tente vainement d’ouvrir d’autres routes vers l’Asie par le Nord comme la mer de Barents, coincée par les glaces.
Cependant, l’Espagne malgré son enrichissement en fait trop, se ruine, fait défaut et provoque la révolte des Pays-Bas qui proclament leur indépendance en 1581 et à partir de 1597 lancèrent leurs expéditions en Asie avec les meilleurs navires du temps, les flûtes et les meilleures cartes, les portulans. Création en 1602 de la Cie des Indes orientales, la VOC, et pour l’Ouest la WIC, multinationale de taille mondiale.
Par la force, la VOC prent le contrôle des points stratégiques sur la route et les fortifièrent aux dépens des Portugais. C’est le siècle d’Or hollandais après celui de Venise, également fondé sur l’eau. Céramique de Delft inspirée de la Chine. Esprit de groupe se manifeste aussi chez Frans Hals, Rembrandt et Vermeer. Tous les corps de métier d’artisanat bénéficient des commandes de la bourgeoisie enrichie.
Londres et Amsterdam concentrent les moyens financiers et distancent Venise, Florence et Rome qui deviennent des villégiatures. Choqués par les nouveaux riches, les puritains s’exilent en Nouvelle Angleterre. L’Angleterre, après avoir proposé une fusion à la Hollande lui dispute les routes maritimes et entreprend à partir de 1650 de bâtir une flotte moderne servie par des capitaines qualifiés. Elle prend le contrôle de Madras, Bombay et Calcutta.
L’Américain Yale, né dans le Massachussetts en 1649, symbolise cette réussite, faisant fortune dans le commerce du thé, la porcelaine et le sucre chinois. Réussite fondée sur la puissance maritime, non obérée par des armées terrestres.
Les Européens rivalisent pour acheter les faveurs des asiatiques avec les cadeaux les plus divers : canons, téléscopes, sextants, microscopes, pierres précieuses. Les plus affairés deviennent des « nababs ». Le commerce de l’opium rapporte davantage et la VOC en tira d’énormes bénéfices, au prix de l’addiction de nombreux Chinois. Mais tombée en faillite, il fallut la renflouer ce qui conduisit le gouvernement à imposer de nouvelles taxes sur les colonies d’Amérique : le thé, d’où la Boston tea party (1773).
Plus généralement, loin d’apaiser les tensions internationales en raison du surcroît de prospérité qu’elles apportent, les routes de la soie les aggravent, chacun voulant acquérir une plus grande part du gâteau, c’est le « great game ».. Confrontation anglo-russe en Afghanistan, méfiance réciproque, inquiétude anglaise vis – à-vis du moindre mouvement dans le Golfe. La Russie crée ses propres routes de la soie : transsibérien, connexion avec le chemin de fer de Chine orientale, l’Angleterre s’appuie sur la vente d’opium, elle occupe en 1885 les îles de Komondo ; en 1894, les navires anglais convoient 4/5 du commerce total de la Chine ; la Russie cherche à se rapprocher de la Perse et entreprend des voies ferrées vers l’Inde, elle prête à l’Iran à faible taux d’intérêt L’entente cordiale vise à réorienter l’attention russe vers l’ouest et la dissuader de jouer les Empires centraux. En 1914, la question était : suprématie anglaise ou russe sur le monde ? La guerre rend le contrôle des routes de la soie plus important que jamais, d’autant qu’elles se transforment en route de l’or noir.
Le pétrole est découvert par les Anglais en 1908, un oléoduc construit jusqu’à Abadan par la future BP. Churchill a compris que c’était la clé de la maîtrise des mers. Toute la stratégie anglaise vise à sécuriser leur approvisionnement : accords Sykes-Picot avec la France (1916), prise de Bagdad (1917) et accord avec Clémenceau pour contrôler Mossoul et Haifa, terminus d’un oléoduc.
Les bolchéviques voient dans les monarchies musulmanes le marche-pied contre le capitalisme occidental. L’Angleterre crée l’Irak et épaule le shah d’Iran de ses conseillers.
Quand la guerre éclate en 1939, l’Allemagne d’Hitler a conclu le pacte avec l’URSS qui lui ouvre la route du blé (Pologne et Ukraine) et autres matières premières et menace l’Inde britannique, l’Irak et l’Iran ; mais le contrôle soviétique sur ses approvisionnements conduit l’Allemagne à se retourner contre son allié de circonstance. C’est pour le blé qu’elle attaque l’URSS en juin 1941. En août, l’Angleterre prend le contrôle de l’Iran et l’espoir nazi de trouver des ressources à l’Est est vite déçu. L’Allemagne nazie s’engage alors dans le génocide des Russes et des Juifs pour ne pas avoir à les alimenter, puis le pétrole devient la priorité, donc l’Iran et l’Irak qui seront au centre la guerre froide.
Les Etats-Unis succèdent aux vieilles puissances coloniales au Moyen-Orient et veillent à ce que leurs « majors » coopèrent à cette fin tout en soutenant à bout de bras le Shah et une ceinture d’Etats entre Méditerranée et Himalaya. Cette « route de la soie » américaine sert à contenir l’expansion soviétique, protéger le Golfe et observer les installations militaires…
La crise de Suez (1956) marque une étape décisive dans le remplacement des vieilles puissances coloniales pour tenir tête à l’URSS. Sur la route de la Soie, celle-ci construit Baïkonour qui permet de lancer des missiles intercontinentaux ; le centre d’écoutes de Peshawar détecte les tirs ; en Iran, dès la fin des années 60, Khomeiny se dresse contre le shah.
La création de l’OPEP et les chocs pétroliers des années 70 enrichissent subitement plusieurs pays, de la Libye à l’Iran, ce qui permet une forte croissance des exportations d’armes et de nucléaire, jusqu’à 16% du PNB de l’Iran. 40% du budget national irakien.
Ce sont des marchés tellement vitaux pour l’économie occidentale qu’on ne s’y soucie guère des dangers qu’ils provoquent : course aux armements, prolifération, etc. La révolution islamiste iranienne (février 1979) semble faire le jeu de l’URSS qui peu après envahit l’Afghanistan (décembre 1979). Les Etats-Unis dans un premier temps soutiennent Saddam et Bin Laden puis l’Iran. Absence de stratégie qui provoque tour à tour tous les acteurs de cette poudrière, jusqu’au malentendu suscité par l’ambassadrice américaine à Bagdad, en 1990, dont Bush a conclu qu’il avait les mains libre pour envahir le Koweit…
Suite et fin sont bien connues : toute la région est plus que jamais en proie à une grande instabilité – dictatures et révolutions – en particulier au sein même de la Chine parmi les Ouigours. Les ressources naturelles remettent la région au centre des convoitises et des tensions (pétrole d’Asie centrale et d’Azerbaïdjan, charbon du Donbass) et des réseaux de transport Est-Ouest desservant notamment la Chine. Ses provinces occidentales y trouvent une nouvelle vie.
Au-delà, les investissements chinois vont jusqu’en Amérique et le projet Xi Jin ping de nouvelles routes de la soie suscite l’inquiétude des Américains (doctrine de Monroe).

3. Perspective française, « la France en Chine » Bernard Brizay chez Perrin.
Un malentendu ancien entre deux pays qui se connaissent peu tout en prétendant être très proches. Cf interview par el Kabbach de l’ambassadeur de Chine en 2001 : « longue tradition d’amitié entre nos deux pays », l’ambassadeur lui rétorque « oui, en 1860, le sac du palais d’été ».
Pour la France, la Chine a été une proie. Certes, relations diplo en 1964 et une présence culturelle intense, mais sur le plan éco les EU et le RU, RFA et même l’Italie sont devant.
Routes de la soie, c’est Marco Polo (1271-1295) mais des Français les ont aussi parcourues : déjà avant, les franciscains, puis les jésuites dont Louis Le Comte, Bordelais au temps de Louis XIV.
Au 19ème siècle, les Anglais fraient la voie (traité de Nankin 1840) et deviennent le premier partenaire commercial de la Chine, la France conclut à sa suite le traité de Whampoa. Secondaire dans le commerce, la France compense par l’activisme religieux mais elle ne perd pas de vue les affaires. Quand le père Chapdelaine est assassiné, elle obtient le 26 juin 1858, alliée avec les autres Occidentaux et sous la menace des canonnières, le traité de Tientsin qui accorde d’importantes concessions commerciales. Son représentant le baron Gros annonce fièrement « je suis heureux de pouvoir annoncer aujourd’hui que la Chine s’ouvre enfin au christianisme, source réelle de toute civilisation, et au commerce et à l’industrie des nations occidentales. »
Mais les relations s’enveniment jusqu’au sac du palais d’été, en 1860, conjointement avec l’Angleterre, en représailles aux réticences chinoises à ratifier le traité de Tientsin. L’Empereur finit par céder. Dans le même temps, un consulat ouvre à Shanghai qui restera distinct de la concession internationale. L’activité commerciale reste très réduite (1/9ème des expéditions occidentales de soie). Le massacre de Tientsin, visant particulièrement les catholiques donc les Français, témoigne d’un fort sentiment antifrançais. La France s’érige en protecteur de tous les missionnaires, quelle que soit leur nationalité ; du coup, les Chinois voient dans les missionnaires des instruments de l’impérialisme. Et les missionnaires ne favorisent pas le commerce français !
Mais à défaut d’une colonisation de la Chine qui restera un mirage, celle d’Indochine va découler de l’exploration d’un accès à la Chine par le Sud : Ernest Doudart de Lagrée et Francis Garnier explorent le Yunnan et convoitent le Tonkin et l’Annam qui sont conquis après une guerre avec la Chine en 1884-85 (traité de Tientsin). L’Indochine pèsera jusqu’aux années 50 sur les relations bilatérales.
Paul Doumer, gouverneur général de l’Indochine en 1897, croit à l’accès à la Chine par l’Indochine et favorise envers et contre tous le chemin de fer du Yunnan, achevé en 1910 pour deux fois le coût initialement prévu. IL n’aura jamais la taille (voie métrique) permettant de jouer le rôle de pénétrante, si ce n’est dans l’autre sens (guerre d’Indochine).
La querelle entre Doumer et les consuls successifs handicape la politique française, alors que les Britanniques et Russes, mieux formés et plus stables, connaissent mieux la Chine et sont plus efficaces.
A partir de 1880, le recrutement devient plus démocratique et donc plus compétent.
C’est l’époque où la CC de Lyon s’affirme comme point de contact privilégié pour le commerce de la Chine. La moitié des soies grèges exportées de Shanghai y parviennent et une mission d’exploration commerciale est organisée par les milieux d’affaires lyonnais (1895-97). 1900 : les 55 jours de Pékin marquent le triomphe sans nuances de la puissance militaire occidentale, France y compris, contre les Boxers et la dignité chinoise. Pékin est saccagée. Tous, jusqu’à l’archevêque, participent au pillage.
Ensuite, Paul Claudel est pendant 14 ans consul et publie ses observations sans concessions sur les Occidentaux, en particulier les Français, en Chine.
L’ exploration de la Chine se poursuit avec d’autres Français : Pierre Loti (1900), Victor Segalen (1909-1914), la croisière Citroën (1931) qui vise à redécouvrir les pistes d’Alexandre le Grand (328 BC) et de la route de la soie (A.Citroën). Elle sera accompagnée du paléontologue Pierre Teilhard de Chardin et au prix de maintes difficultés rallie Pékin le 12/2/1932. Mais cela ne masque pas l’indigence de nos relations commerciales, faute de compagnies de la taille de Jardine&Mattheson et de Banques commerciales. En 1900, il n’y a à part les missionnaires que 1200 Français en Chine.
En 1898 la banque de l’Indochine s’installe en Chine, avec dans son capital le Lyonnais et la S Générale, et joue rapidement un rôle important à Shanghaï. Cependant, les échanges commerciaux restent réduits : 1,3% des importations , 4,3%, des exportations. En 1949, 76 sociétés françaises contre 300 britanniques…
Secteurs : messageries maritimes, eau-électricité-, tramways, Air Liquide, soie, immobilier.
Priorité à la politique culturelle à travers les Jésuites à Zikawei (météo) et autres ordres, y compris féminins, exerce son influence sur l’élite. 2000 étudiants en 1948.
Shanghai est surnommée « le Paris de l’Extrême-Orient », lieu privilégié de tous les plaisirs et les vices. C’est là aussi, dans la concession française, que naît en 1921, en présence de Mao, le PCC… Les responsables de la concession sont proches de gangs comme la « Bande Verte ». La concession passe sous protection japonaise après Pearl Harbor, ce qui la stigmatise auprès les nouvelles autorités chinoises en 1945.
En 1943, à l’exemple des E.U et du R.U. la France de Pétain renonce aux concessions et de Gaulle confirme en 1946. Mais la France préfère Chang Kai Shek à Mao. La guerre d’Indochine suscite une relation cordiale entre Zhou Enlai et PMF qui permettra le succès de la conférence de Genève.
En 1964 de Gaulle surprend jusqu’à son gouvernement en décidant de reconnaître Pékin car « avant d’être communiste, la Chine et la Chine ». Le 27 janvier 1964 la France et la Chine nouent des relations diplomatiques, ce dont le gouvernement chinois lui reste reconnaissant. Les Etats-Unis ne suivent qu’en 1979…
Pompidou sera le premier Pdt français à être reçu en Chine, suivi par ses successeurs, mais les relations resteront marquées par des frustrations et incompréhensions (F. Hollande avant son élection : « j’en suis arrivé à un moment où je pense qu’il faut nommer l’adversaire. Je l’avais fait pour la finance, il faudra le faire pour les Chinois »

4. La visite du Président chinois Xi Jinping en avril 2019 en Italie et en France préfigure-t-elle le monde de demain ?
Son pays est en tout cas le grand bénéficiaire du nouvel ordre économique mondial. En 2050, la Chine en sera numéro 1, distançant l’Inde et les Etats-Unis.
Si la guerre n’a pas entretemps fracassé ces projections en actionnant le « piège de Thucydide » : un conflit entre la puissance montante, la Chine, et la puissance établie, les Etats-Unis, comme dans l’Antiquité entre Athènes et Sparte.
Cela fait déjà des décennies que, sans déclaration de guerre, la Chine et les Etats-Unis s’opposent sur 3 fronts :
Le premier front est bien visible en Mer de Chine du Sud où transite 1/3 du trafic maritime mondial. La Chine y appuie ses prétentions sur une stratégie d’exclusion de zone : travaux massifs de remblai depuis 2014, conduisant à la création d’une série d’îlots à la place de hauts-fonds submersibles et leur équipement en pistes d’atterrissage, facilités portuaires et capacités militaires défensives et offensives. Le différend au sujet des « formations maritimes » des îles Spratly qui oppose de longue date la Chine, la Malaisie, Taiwan, l’Indonésie et le Vietnam constitue une démonstration de force et d’affirmation de sa souveraineté, au détriment des Etats-Unis et de leurs alliés et en dépit d’un arrêt de la CIJ de la Haye en 2016.
Le second front, plus discret, concerne la maîtrise des hautes technologies, des semi-conducteurs à l’intelligence artificielle. Cette bataille s’était déroulée sans éclats jusqu’à l’affaire Huawei, la Chine cherchant à acquérir les nouvelles technologies par des investissements en capital-risque dans la Silicon Valley.
Le troisième front porte un nom officiel : les nouvelles routes de la soie (en anglais BRI), un programme de prêts lancé en 2012, dépassant 1 000 Mds $ pour l’infrastructure, financés par la Chine et mis en œuvre principalement par des constructeurs chinois. Il permet aux pays manquant de capitaux de puiser dans un fonds pour s’équiper d’autoroutes, chemins de fer, ponts, ports, oléoducs et centrales électriques. Ce réseau d’infrastructures et de marchés dont la tête est la Chine est censé bénéficier aux pays acheteurs aussi bien qu’aux vendeurs, à travers deux routes internationales : la route historique de la soie à travers l’Asie centrale et l’autre, maritime, qui mène de la Chine à l’Asie du Sud-Est et l’Asie du Sud, l’Afrique et l’Europe.
Sous la bannière du Président Xi, la BRI s’appuie sur un cortège d’entreprises d’Etat qui investissent, prêtent et construisent en-dehors des frontières chinoises comme la China Development Bank, l’EXIM Bank et la New Development Bank et le dernier né (2012), la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures dont le siège est à Pékin.
En Asie en développement, où la demande en infrastructures jusqu’à 2030 est estimée à 1700 Mds $ par an, la BRI mobilise de lourds financements : le chemin de fer Laos -Chine, équivalant à 35% du PIB laotien, au Cambodge, un boom de la construction à hauteur de 80% du PIB, en Birmanie, 1,3 Mds$ pour un port qui la reliera à la Chine et au couloir économique Est-Ouest de l’ASEAN. Au Pakistan, la Chine a finalisé un prêt de 2 Mds$ en 2018.
La liste est longue des pays bénéficiaires en Afrique, Amérique latine et Europe centrale et orientale, particulièrement dans les Balkans. Pour beaucoup d’entre eux, la Chine, moins regardante que les prêteurs traditionnels, constitue une source alternative de capitaux – omniprésente dans les projets et gardant le contrôle par des accords bilatéraux où elle est majoritaire. C’est là où le bât blesse. Aux yeux des Occidentaux, ces prêts conduisent les pays vulnérables, mal gouvernés, dans le piège d’un endettement non maîtrisé dont ils ne pourraient sortir qu’en remboursant en nature. De fait, nombreux sont déjà les exemples de pays débiteurs pris au piège de la dette, « debt trap ».
Au Sri Lanka, le Président Rajapaksa a obtenu de la Chine le financement de grands projets d’infrastructure mais le gouvernement suivant, pour rembourser une dette d’1,1 Md $, a dû fournir à la Chine le port en eau profonde de Hambantota, à quelques centaines de milles de l’Inde, l’adversaire historique de la Chine. La Malaisie, face à une dette de 250 Mds$, a renoncé à 20 Mds$ de projets soutenus par la Chine, un chemin de fer et deux oléoducs.
Enfin, en Europe, la Chine a conclu en 2016 un accord avec la Grèce lui confiant la gestion de 2 des 3 terminaux du Pirée pour 1,7 Mds$. Demain, l’Italie lui permettrait de consolider une position de force en Méditerranée ?
A l’évidence, la BRI creuse une faille au sein de l’UE, qui a conduit en 2017 la Grèce à bloquer une déclaration de l’UE aux Nations Unies critiquant la politique chinoise en matière de droits humains.
Au- delà, c’est l’ordre économique international, déjà chancelant, qui pourrait être menacé.
Un « club de Pékin » appuyé sur sa clientèle croissante pourrait venir faire concurrence au club de Paris des prêteurs souverains, dont la Chine s’est précisément tenue à l’écart, et pousser le FMI à se montrer plus accommodant envers sa puissance financière. Les pays débiteurs pourraient accorder à la Chine des garanties financières prioritaires par rapport aux créditeurs du club de Paris en matière de remboursement de la dette.
S’agissant du commerce international, la BRI risque de favoriser les entreprises chinoises par rapport aux autres ; le commerce est déjà fortement déséquilibré, ce qui a suscité l’application par le Président Trump de sanctions unilatérales contre les produits chinois. Sur un mode moins brutal, le Président Macron, à l’occasion de sa rencontre au sommet avec le Président Xi Jinping en janvier 2018, avait déclaré : (les routes de la soie) « ne peuvent être les routes d’une nouvelle hégémonie qui viendrait mettre en état de vassalité les pays qu’elles traversent ».

Sera-t-il aussi ferme cette fois ? On attend également avec intérêt le document stratégique annoncé par la Commission européenne. Jusqu’à présent, malgré les rodomontades de l’administration Trump, l’Occident dans sa globalité n’a pas été capable de trouver une stratégie cohérente, à la mesure du défi que jette la Chine. A part dénoncer l’initiative BRI comme piège de l’endettement en vantant les vertus de l’austérité et de la rigueur budgétaire, la réponse des Etats-Unis, de l’UE et des autres a simplement été trop peu, trop tard et trop inefficace. Dans cette guerre non déclarée, le défi auquel ils sont confrontés est : comment faire face à la Chine et au sourire de M. Xi Jinping en l’absence de lignes de front marquées, de politique ou budget d’agression clairement définis, et de cible visible.