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Avec Bernard Féry : quel monde après la pandémie ?
mardi 28 avril 2020, par
Synthèse de réactions suscitées par un premier article, celui-ci indique qu’il serait illusoire de revenir à l’ancien monde, ne serait-ce que parce qu’il faut lutter contre le changement climatique et parce que la mondialisation ne va pas disparaître. L’organisation de la gouvernance mondiale est à revoir..
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|Yves Carmona et Bernard Féry |Le coronavirus, ce levier qui peut (ou pas) transformer le monde
Quel monde après cette pandémie ?
Notre premier article sur la pandémie publié dans « Gavroche » en avril 2020 a suscité des réactions et compléments historiques. Rappelons donc quelques données, dont celles présentées par l’affiche ci-dessous
Le pouvoir japonais mettait en garde par affiche usagers et usagères des transports en commun : en haut : « une terrible épidémie » et en bas : « sans masque, on risque sa vie ! ».
Ça se passait en… 1918 et 1919, au sortir de la 1ère guerre mondiale et l’ennemi contre lequel il fallait se protéger était la grippe espagnole !
Et si on remonte dans le temps, Bernard Féry, ancien haut fonctionnaire des Nations-Unies, trouve étrange que l’on soit obligé en plein XXI ème siècle de recourir au confinement, à cette méthode archaïque digne de la peste à Marseille au XVIII ème siècle.
Mais avec lui, tournons-nous vers l’avenir.
Une première hypothèse, la plus négative mais la plus probable, est la poursuite de la situation antérieure à l’épidémie avec ses excès caractérisés, en particulier la financiarisation de l’économie, la non-prise en compte sérieuse des problèmes d’environnement et de changement climatique et un creusement croissant des inégalités. Cette hypothèse aura d’autant plus de chance de se réaliser que l’arrêt de l’économie sera court. Si par contre la crise s’éternisait, une remise en cause du système deviendrait une option plus vraisemblable. Il est probable également que la tentation autoritaire, nationaliste et xénophobe déjà bien présente dans les slogans vus un peu partout “mangez français, achetez français, passez vos vacances en France”, fermez les frontières, a plus de chances de l’emporter qu’un réveil de la démocratie. Le contrôle de la population par des moyens électroniques, déjà mis en place en Chine, va être introduit insidieusement dans les démocraties occidentales sous divers prétextes, en particulier les questions sanitaires. La sphère privée s’est d’ailleurs déjà rétrécie comme peau de chagrin, notamment par l’abus de l’usage des réseaux sociaux. Ce phénomène risque de s’amplifier.Une hypothèse plus sourianteLa deuxième hypothèse, plus souriante, est un changement de paradigme par lequel la société s’engagerait dans un processus de transition énergétique visant à la décarbonation de l’économie pour combattre le changement climatique. Cette transition, à mon sens, devrait être considérée comme la priorité numéro un, pour autant que l’on soit convaincu que les émissions de gaz à effet de serre contribuent d’une manière significative au réchauffement climatique. Partant de cette hypothèse, un changement radical de la production d’énergie pour les foyers, l’industrie et les transports deviendrait la priorité. Elle passerait par l’abandon rapide du charbon, du pétrole et du gaz comme sources d’énergie. Cela comprendrait le développement des énergies renouvelables, des moyens de transport électriques et à pile à combustible, les économies d’énergie, notamment par l’isolation des bâtiments. On pourrait penser qu’à une période ou le prix du baril de pétrole est à son plus bas, c’est une vue de l’esprit. Il faut cependant se rappeler que le cours du pétrole est l’objet de constantes fluctuations génératrices de crises à répétition chez les pays utilisateurs. D’ailleurs il ne faudra pas attendre que les réserves de pétrole soient épuisées et que le réchauffement climatique soit hors de contrôle pour entamer la transition énergétique. On peut citer à ce propos la phrase du Cheik Yamani, Ministre pendant 25 ans du pétrole de l’Arabie Saoudite, qui a dit :” l’âge de pierre ne s’est pas arrêté faute de pierres”. L’ère du pétrole ne doit pas s’arrêter faute de pétrole, mais lorsque l’Humanité aura trouvé des sources d’énergie moins dangereuses pour la santé de la planète. Nous y sommes.
Quelle condition pour qu’un changement positif se produise ?
Un certain nombre de conditions préalables à cette transition énergétique devraient être réunies.
A/ Un consensus international sur l’urgence de freiner le changement climatique.
La dénonciation par les États-Unis de leurs engagements, pourtant peu contraignants, de l’Accord de Paris de 2015 n’augure rien de positif en ce domaine. De plus la Gouvernance mondiale actuelle, avec des dirigeants de grandes puissances, États-Unis, Russie, Inde, Chine, Brésil, Turquie, aux orientations nationalistes et autoritaires, plus enclins à la compétition qu’à la coopération, un G 7 divisé et impuissant, une Organisation des Nations Unies à peine audible et une Europe qui peine à parler d’une seule voix, ne créent pas les conditions d’une prise de conscience collective de l’urgence climatique. Cependant, si, comme cela arrive dans les crises graves, un consensus international se dégageait (Roosevelt, Churchill et Staline ont bien fini par s’entendre pour combattre Hitler) le changement deviendrait possible.
Or la transition énergétique n’est pas impossible techniquement. Elle demanderait certainement d’énormes investissements tant financiers qu’humains.
B/ Un retour en arrière n’est pas la solution.
Plutôt que d’investir pour faire redémarrer et soutenir l’industrie automobile nettement hypertrophiée et qui ne survit que par les différents programmes de rachat de vieux véhicules par les États, on pourrait envisager une reconversion de cette industrie pour la production de matériel pour les énergies renouvelables, les véhicules électriques ou à pile à combustible, l’isolation des bâtiments qui sont nettement sous investis. Ce programme s’apparenterait aux grand travaux d’infrastructure hydraulique et routière entrepris par les États-Unis à l’époque du New Deal. Ces investissements devraient également contribuer à réduire le chômage attendu à la fin du confinement.Il conviendrait en même temps de ne pas abandonner pour le moment la filière nucléaire, peu productive de gaz à effet de serre, qui à terme pourrait déboucher sur la fusion nucléaire étudiée dans le programme ITER.
C/ Les excès de la mondialisation sont critiqués et critiquables, mais soyons clairs, le retour à une société sans échanges internationaux n’est pas pensable. Dans un avenir proche le coton ne poussera pas dans la Beauce et les bananes et les mangues en Normandie, sans oublier bien sûr le quinoa et le curcuma chers aux décroissants férus de consommation locale. La nouvelle Calédonie sera pour un temps encore un important producteur de nickel. Donc les échanges internationaux continueront et pas seulement ceux des matières premières. La spécialisation internationale se poursuivra. Elle permettra à de nouveaux pays de se bâtir des industries de transformation et de se doter d’une main d’œuvre qualifiée, donnant ainsi emplois et revenus à des populations quittant les zone agricoles souvent surpeuplées. Une rationalisation des échanges internationaux sera certainement nécessaire. Il serait opportun d’utiliser l’OMC pour rationaliser ces échanges plutôt que de pratiquer le bras de fer permanent cher au Président des États-Unis, spécialiste dès relations bilatérales sous tension.Les États devront également reconsidérer la gamme de leurs productions dites stratégiques, qui pour le moment se limitent surtout à la fabrication d’armes de guerre, alors que les guerres de demain seront probablement cybernétiques et même peut-être malheureusement bactériologiques. C’est dans ces domaines qu’il conviendra de développer des compétences plus que dans la fabrication des chars Leclerc et autres Mirages ou l’on excelle déjà.D’autre part, je me suis volontairement cantonné à traiter le problème de la transition énergétique, car il me parait fondamental pour enfin s’attaquer sérieusement au changement climatique.
D/ Revoir notre organisation ?
Des pistes de réflexion sont nécessaires et les réponses doivent être apportées rapidement quel que soit le pays. Citons notamment :- la gouvernance des entreprises avec une participation accrue du personnel à leur gestion en modifiant en particulier la composition des conseils d’administration, comme c’est le cas en Allemagne.
- un audit complet de toutes les missions des pouvoirs publics pour déterminer quelles sont les missions essentielles et celles qui devraient être confiées au secteur privé ou au secteur associatif. Une attention particulaire devrait être donnée à l’élimination des doublons dans le partage des responsabilités entre l’État et les collectivités territoriales. Une rationalisation des différentes strates de collectivités territoriales devrait également être conduite.
- la fonction publique : quel statut ? Il est temps, en France, d’envisager la refonte du statut de la Fonction Publique afin de tourner la page de la loi de 1946, afin d’assurer la mobilité entre les différents corps, les promotions au mérite liées à l’évaluation des performances et leur corrélatif, la possibilité plus grande pour l’employeur public de sanctionner et licencier. Certains pays d’Asie du Sud-Est comme Singapour se targuent de l’avoir fait. L’Autriche et la Suisse ont supprimé le statut de la Fonction Publique pour leurs fonctionnaires fédéraux dont les contrats sont régis par le code du travail.A notre connaissance, ce changement n’a occasionné aucun problème sérieux et a été accepté sans difficulté. Cette réforme en profondeur de la Fonction Publique devrait permettre de réduire drastiquement le nombre de fonctionnaires qui en revanche devraient être beaucoup mieux rémunérés. Dans cette Fonction Publique rénovée, la réforme des retraites proposée en France par le Gouvernement prendrait ainsi tout son sens et permettrait l’indispensable mobilité entre la Fonction publique et le secteur privé.
Voilà des réflexions inspirées par l’article déjà publié dans « Gavroche », qui méritent d’être encore approfondies.