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Un si petit pays Such a small country

dimanche 2 juillet 2023, par Yves

Un si petit pays
Such a small country

Écrire sur un pays aussi petit, lointain, méconnu, le jour où un événement planétaire comme les funérailles officielles de la Reine d’Angleterre ont lieu est une gageure digne de Gavroche – celui de Victor Hugo qui, lui, va jusqu’à payer de sa vie son intérêt pour une (noble) cause perdue.

Mais la cause de Timor Leste est loin d’être perdue.

Dans beaucoup de domaines, ne montre-t-il pas la voie ?

Peu a été écrit sur Timor, surtout en langue française et le meilleur auteur a été Frédéric Durand qui a écrit : « Sur quels critères et surtout de quel droit fixer un seuil en deçà duquel un peuple n’aurait pas le droit à l’existence ? L’argument de l’hypothétique « non-viabilité » du Timor-Oriental a été l’un des premiers à être convoqués par l’Indonésie pour justifier la nécessité « d’intégrer » le territoire à sa République. »

L’intégration en question s’est traduite par l’invasion de l’armée indonésienne qui a fait en 1975 de 100 à 300 000 morts (selon les auteurs) dans la partie orientale de Timor, qui avait connu pendant 450 ans l’oppression, notamment coloniale : Portugal, Pays-Bas – sans oublier l’occupation japonaise durant la 2nde guerre mondiale – et Indonésie.

L’annexion immédiate par l’Indonésie a été soutenue, comme dans d’autres pays, par les Etats-Unis et probablement par la CIA, dans le silence complice des Occidentaux comme le célèbre linguiste Américain Noam Chomsky l’écrivit.

L’âme de ce combat, gagné en 2002 par la reconnaissance comme État de Timor Leste ? Le combattant Xanana Gusmao qui a quitté le pouvoir en 2015 et Jose Ramos-Horta (né en 1949 à Dili d’un père portugais et d’une mère timoraise), prix Nobel de la paix en 1996 – co lauréat avec l’évèque Carlos Filipe Ximenes Belo – pour son combat anti-colonialiste au sein du FRETILIN, Ministre des affaires étrangères de 2002 à 2006 puis Premier Ministre et élu démocratiquement Président en 2007, cible d’un attentat en 2008 dont il réchappe grâce aux soins australiens, jusqu’en 2012 et élu à nouveau le 19 avril 2022.

C’est qu’en effet la très longue histoire et la géographie de Timor Leste méritent d’être quelque peu détaillées car elles expliquent le présent.

Les premiers vestiges d’occupation humaine datent de – 42 000 et l’occupation pourrait remonter à – 80 000, de la part de peuples venus en grande partie de ce qui est aujourd’hui la Nouvelle Guinée, et c’est l’Australie, une fois traversée la mer de Timor, qui est la plus proche.

Les Chinois et les réseaux musulmans commerçaient avec Timor dont le bois de santal était apprécié.

L’âge du bronze, – 2000, commun à la péninsule indochinoise (dont le Laos qu’a un peu fréquenté l’auteur de ces lignes) ont précédé l’occupation par la compagnie néerlandaise des Indes orientales et le Portugal. Les deux Européens se sont fait concurrence à partir de 1512 (première mention sur une carte des Dominicains suivie de relations commerciales à partir de 1550) et parfois la guerre jusqu’à ce qu’un traité vienne en 1859 stabiliser leur frontière et ce faisant donner l’avantage aux Portugais. Ceux-ci, comme dans le reste de l’Empire colonial, se sont beaucoup métissés et ce sont les « Topasses » qui ont, jusqu’à aujourd’hui, eu le pouvoir. Brutaux, les colonisateurs portugais ont imposé à partir des années 1850 la « finta », impôt de capitation de plus en plus lourd, une diversification – le café succédant au santal – le travail forcé et les corvées à une population de plus en plus animée d’actes de résistance mais les armes modernes de la 1re guerre mondiale ont permis à la dictature portugaise de Salazar de garder le pouvoir. Un début de modernisation a permis un développement, cependant insuffisant, de l’enseignement, des communications, du téléphone, etc.

C’est la révolution des œillets, en 1974, en instaurant au Portugal la démocratie qui a remis en question le statut de Timor-Leste dont un décret de juillet 1975 reconnaissait la décolonisation mais l’Indonésie de Suharto avec l’accord du Président américain Gerald Ford s’est empressée de prendre la place du Portugal qui n’avait rien fait pour préparer des dirigeants à l’indépendance qu’il a dû accorder au Timor oriental (en tetum, deuxième langue nationale du pays, Timor Lorosa’e).

Mais Timor Leste ne s’est pas laissé anéantir, malgré les tergiversations occidentales, et a obtenu après la crise asiatique et la chute de Suharto en 1998 que les Nations Unies reconnaissent son indépendance le 30 août 1999 et à nouveau, après avoir supervisé le référendum d’autodétermination, le 20 mai 2002, « premier nouvel État du 3ème millénaire » selon France-Libertés.

Ce pays indépendant depuis 20 ans présente un grand nombre de paradoxes.

L’un d’eux, c’est que le Timor prête maintenant de l’argent à son ancienne puissance coloniale, le Portugal !

Qu’on veuille bien se souvenir que la Birmanie était, au moment de l’indépendance, « la perle de la couronne » et que plus récemment, la Corée du Sud, pas encore membre de l’OCDE, était regardée par les pays développés comme en retard. Aujourd’hui, elle est de niveau mondial dans bien des secteurs, y compris sur le plan politique car l’alternance démocratique y a triomphé.

Un autre paradoxe est que Timor, candidat depuis 2006 à l’adhésion à l’ASEAN, n’en est toujours pas membre alors que son PIB soutient la comparaison avec d’autres membres, qu’il détient des gisements d’hydrocarbures, a ouvert des ambassades dans tous les pays-membres et s’est même réconcilié, au moins officiellement, avec l’Indonésie… Le Président Horta espère que 2023 sera l’année de l’adhésion ce qui en retour stimulerait au Timor le commerce et l’investissement.

Quelques semaines après le début de la guerre ukrainienne lancée par Poutine, les progrès de Timor Leste ne sont-ils pas le signe que la démocratie peut aussi gagner ? Certes, le pays ne compte qu’environ 1,4 millions d’habitants. Seul en Asie du Sud-Est, le riche Bruneï en a moins alors que l’Indonésie est peuplée de 275,5 millions d’habitants. Certes, toujours selon F.Durand, « à Timor Oriental les conditions de vie sont rudes et il faudra du temps et de l’énergie pour garantir une bonne qualité de vie à l’ensemble de la population. »

Mais si on regarde des chiffres plus récents, on s’aperçoit que son PNB par tête, 4 000 dollars des Etats-Unis en parité de pouvoir d’achat (PPA) a cru de 2020 à 2021 de 23 %. Certes encore au niveau des autres pays les plus pauvres de l’Asie du Sud-Est, il est 3 fois supérieur à celui de l’Indonésie, belle revanche.

N’est-ce pas l’effet d’un État au fonctionnement démocratique ?

Timor Leste est citée comme exemple par le CDC (Centre de Développement Communautaire), le développement local y montre combien peut être fécond le travail coordonné d’associations locales et internationales. C’est pour ce petit pays une période difficile de redéfinition d’identité et de reconstruction d’une société.

Les progrès de Timor Leste ne sont-ils pas aussi le résultat d’une meilleure participation des femmes ? Le Portugal était machiste alors qu’avant la colonisation, des Reines de certains groupes ethniques imposaient le matriarcat.

Un article récent (Contribution of women’s fisheries, substantial, but overlooked, in Timor-Leste Ambio, 2021) montre que les femmes jouent un rôle majeur dans une des ressources principales du pays : la pêche et le commerce du poisson et des fruits de mer .

Il faut également souligner le rôle de la religion : dans un pays catholique depuis les années 1550 puis à majorité protestante et où le christianisme est redevenu « un élément majeur d’identité locale » (Durand), il n’était pas confortable de rester soumis au pays à la population musulmane la plus nombreuse au monde et où le terrorisme islamiste a sévi à Bali, hindouiste. Le prix Nobel de la paix a été attribué en 1996 à la fois à l’évêque Mgr Bolo et au héros de l’indépendance M. Horta.

Autre paradoxe : le tourisme. Timor a toujours compté peu de touristes. Il cherche depuis l’indépendance un modèle qui ne tombe pas dans les travers bien connus : surnombre des touristes, massification, prostitution, etc. On peut se demander si aujourd’hui où il cherche comme tant d’autres pays un tourisme respectueux de l’environnement et soutenable, ce n’est pas un bienfait d’être resté à l’écart, quand on voit que dans beaucoup de pays de la région, la pandémie a fortement raréfié les touristes venus d’ailleurs sans que les autochtones les remplacent complètement. Les Chinois y ont été nombreux mais d’une part, l’omniprésente domination de leurs groupes a suscité des difficultés et d’autre part, la politique de « no-Covid » a quasiment anéanti leur présence.

Enfin, deux grands enjeux sont à souligner. Timor Leste est encore très rural, les pentes de ses montagnes sont encore à environ 40 % boisées, il n’est pas menacé par la montée des eaux et ses habitants ont toujours vénéré dans une sorte d’animisme que le christianisme n’a pas fait disparaître les esprits de la nature. Le combat contre le changement climatique donne à ces mythes une nouvelle actualité.

Sur le plan stratégique, alors que le voisin indonésien participe pleinement à l’exercice militaire dominé par les Etats-Unis du « Super Garuda Shield » dont l’ampleur est telle qu’il ressemble fort à une ligne d’endiguement de la Chine, Timor-Leste, plus prudent mais cherchant à ne pas rester isolé n’en est qu’observateur. Comme les autres pays d’Asie du Sud-Est, il ne souhaite pas avoir à choisir entre les deux superpuissances : souhaitons qu’il sache ne pas s’y laisser entraîner.

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Timor Leste : backward or forward ?
To write on such a small, far away, unknown country on the same day as a worldwide event like the funerals of the Queen is a challenge worthy of Gavroche – Victor Hugo’s one who goes as far as losing his life because of his interest for a (noble) lost cause.

But Timor Leste’s cause is far from being lost.
In many ways, doesn’t it show the way ?
Nos so much has been written about Timor, especially in French language and the best author is Frédéric Durand who has written : « Where are the criterias, what is the right to decide a threshold under which a people wouldn’t have the right to exist ? The argument of « non-viability » of Timor-Leste was one of the first to be used by Indonesia to justify the necessity to « integrate » its territory to its Republic. »

That integration translated into the invasion by the Indonesian army which made till 1975 100 to 300 000 fatalities (according to which author writes) in the Eastern part of Timor, which had already known during 450 years the oppression, partly colonial : Portugal, Netherlands, - without forgetting the Japanese occupation during WWII – and Indonesia. The immediate annexion by Indonesia was supported, as in other countries, by the United States and probably by the CIA, in a guilty silence of the Westerners as was written by the famous American linguist Noam Chomsky.

The leader of this fight, won in 2002 when Timor Leste was recognized as a State, is still today Jose Ramos-Horta (born in 1949 from a Portuguese father and a Timorese mother), peace Nobel prize in 1996 for his anti-colonialist struggle together with the FRETILIN, Minister of foreign affairs from 2002 to 2006, then Prime Minister and democratically elected as a President in 2007, surviving thanks to Australian care an attack in 2008, till 2012 and elected again on the 19th April 2022.

Indeed a very long History and Geography should be considered since they help explaining the situation nowadays.
The first remains of a human occupation go back to 42 000 years and it could go back to 80 000 years, from people who mostly came from present New Guinea and Australia, once the closest, Timor Sea, is crossed.

The Chinese and Muslim networks traded with Timor whose santal was appreciated.
Bronze era, -2000, altogether with the Indochinese peninsula (including Laos this author has a little known) came before the occupation by the Dutch East Asia Company and Portugal. Both European powers competed since 1512 (first mention on a Dominican map followed with trade relationships starting in the 1550s’) and were sometimes at war till a treaty stabilized their border and thus advantaged Portuguese. As in the colonial Empire overall, they were often mixed-race and « Topasses » were till today in charge. Brutal Portuguese colonials imposed since the 1850s’ « Finta », a more and more heavy capitation tax, forced labor and chores to a population inclined to resist but modern weapons in time of WWI allowed Salazar Portuguese dictator to stay in power. A beginning of modernization allowed for progresses although insufficient of education, communications, telephone, etc.

It took the « carnation revolution » in 1974, by establishing democracy in Portugal, to improve the status of Timor Leste to which a decree in July 1975 recognized decolonisation but Suharto’s Indonesia with the agreement of the US President Gerald Ford took immediately the place left by Portugal which had done nothing to prepare leaders to independance which it had to give to Timor Leste (in tetum, second national language, Timor Lorosa’e).
But Timor Leste resisted obliteration, in spite of the Western prevarication, and gained after the Asian crisis and Suharto’s fall in 1998 the recognition by the UN of its independance on the 30th August 1999 and again, after it supervised an autodetermination referendum, on the 20th May 2002, « the first new State of the 3rd Millenium » according to France-Libertés.

This country which has been independent for 20 years shows a great number of paradoxes.

One of them is that Timor now lends money to its former colonial ruler, Portugal !
Let’s remember that independent Burma was « the pearl od the Crown » and more recently, South Korea, not yet a member of the OECD, was seen by developed countries like behind. Today, it’s world class in many sectors, including politically since alternance has prevailed.

Another paradox is that Timor has been a candidate since 2006 to access to ASEAN but is still not a member whereas its GDP is comparable to other members, it owns oil fields, it opened Embassies in all member countries and it even reconciled, at least officially, with Indonesia… President Horta hopes 2023 will be the year of access which would in return stimulate Timor’s trade and investment.

Weeks after the start of the war Putin wages to Ukraine, aren’t Timor Leste’s progresses the sign that democracy can also win ? Indeed, according to F. Durand, « in Eastern Timor livelihood is strenuous and it will take time and energy to secure a good quality of life to all people. »

But looking to more recent figures, we can see that its GNP per capita, 4000 USD in PPP grew from 2020 to 2021. Of course still at the level of the poorest countries in SEA, it is 3 times above Indonesia, beautiful revenge.

Isn’t it because it is a democratically working State ?
Timor Leste is quoted as a model by the Center for Community Development (CCD), the local development shows how productive work of local and international associations can be. That is for this small country a difficult era of redefining identity and rebuild a society.

Do progresses in Timor Leste have to do with a better participation of women ? Portugal was machist whereas before colonisation, Queens in some ethnic groups imposed matriarchy. A recent article (Contribution of women’s fisheries, substantial, but overlooked, in Timor-Leste Ambio, 2021) shows women played a major role in one of the main resources of the country : fish and seafood fishing and trading,

The role of religion should be pointed out : in a catholic country since the 1550s then majoritarian protestant and where christianism became again « a major element of local identity » (Durand), it was not comfortable to stay submitted to a country with the biggest muslim population in the world and where islamic terrorism stroke a couple of times in hindu Bali. Bishop Mgr Bolo together with the hero of independance Mr Horta won the Nobel Peace prize in 1996.

Another paradox is tourism. There were always few tourists in Timor. It has been looking since independance for a model which doesn’t fall in well-known flaws : excessive numbers, massification, prostitution, etc. One can wonder if now that it looks for a sustainable tourism which respects the environment it is not a blessing to have been apart, when in many countries in the region, overseas tourists have become scarce because of the pandemics without locals to fully replace them. The Chinese were many but on one side, their groups ubiquitous presence created difficulties and on the other side, policy of « no-Covid » almost wiped them out.

Finally, two main issues must be d.
Timor Leste is still very rural, about 40 % of its hillsides are still tree-covered, it is not threatened by rising sea waters and its inhabitants have always revered in a kind of animism which didn’t disappear with christianism the spirits of the nature. The fight against climate change gives these myths a new relevance.

On a strategic level, whereas its Indonesian neighbour fully shares the military exercise dominated by the US of « Super Garuda Shield » whose large scale makes it look like a containment line of China, Timor-Leste, more careful but not willing to be isolated is just an observer. As the other SEA countries, it doesn’t wish to have to choose between both superpowers : let’s wish it knows how not to be driven to that.


Voir en ligne : https://www.gavroche-thailande.com/