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Qu’est devenu Sombath Somphone ?
lundi 26 décembre 2022, par
Qu’est devenu Sombath Somphone ?
What happened to Sombath Somphone ?
GAVROCHE
Qu’est devenu Sombath Somphone ?
Ce nom ne dit sans doute rien à la plupart des lecteurs. Sa disparition il y a 10 ans (exactement le 15 décembre 2012) n’a jamais été élucidée et personne, y compris l’auteur de ces lignes, ne sait où il est ni n’a obtenu d’explication du gouvernement sur sa disparition.
Or au même moment, le gouvernement laotien a su faire preuve d’humanité. Comment expliquer un tel paradoxe ?
1/ La disparition de Sombath a connu une grande résonance
Tout part d’un double malentendu. Le Laos a obtenu l’organisation, pour la première fois, d’un « forum de dialogue », l’ASEM, encore jeune mais où siègent de nombreux chefs d’Etat et de Gouvernement (CEG).
Il s’agissait de mieux équilibrer le triangle Etat-Unis, Europe, Asie dont l’Uruguay round avait montré, avec les réunions régulières et créatrices de normes de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) qu’il fallait l’équilibrer d’une branche euro-asiatique et c’est le Premier ministre singapourien Goh Chok Tong ainsi que Jacques Chirac qui l’ont mise en oeuvre dès l’élection présidentielle de 1995.
Le 9 ème sommet des chefs d’État, dont le Président Hollande, et de gouvernements s’est effectivement tenu les 5 et 6 novembre 2012, le forum d’hommes d’affaires (AEBF) – quelque peu acrobatique dans un pays réputé communiste et le forum des peuples (AEPF) ainsi que le forum parlementaire (ASEP). L’ASEM a également donné naissance en 1997 au forum sur la Culture (ASEF) qui relève désormais d’une autre structure.
Double malentendu : le Laos, petit pays pauvre, enclavé, au milieu de l’Asean mais encore peu ouvert avait, sans doute lors de l’ASEM asiatique précédente, levé le doigt pour signifier : « pourquoi pas nous » quand il s’était agit de choisir le prochain pays asiatique organisateur, et personne n’avait eu envie de dire non. Malentendu aussi parce que l’ASEM, ce n’était pas seulement l’organisation parfaite d’une réunion solennelle de deux jours avec le gratin des pays membres, dans un centre de congrès tout neuf dont on avait enlevé peu avant les inscriptions en chinois (son inauguration devait coïncider avec l’ouverture de la ligne chinoise de chemin de fer), car seules des entreprises chinoises payées par la Chine l’avaient construit en un temps record...
C’était aussi l’AEPF, forum des peuples. Ce forum des peuples a réuni à Vientiane, du 16 au 19 octobre 2012 plus de mille délégués représentant des ONG.
C’est là que Sombath, fondateur en 1996 de l’association PADETC et distingué en 2005 par le « prix Ramon Magsaysay » pour avoir su assurer le développement communautaire dans son pays est apparu en pleine lumière et a pris le risque de son enlèvement. La réunion de l’AEPF s’est tenue à l’Institut français de Vientiane, seule salle de réunion assez grande et non inféodée au Pathet Lao. Le public sur les gradins comportait forcément bon nombre de policiers en civil qui ont entendu le courageux Sombat attaquer l’appropriation des terres par des riches au détriment des paysans et défendre une société moins inégalitaire – il n’a jamais attaqué le capitalisme, préférant l’action concrète aux slogans politiques dont il savait qu’ils ne mènent nulle part.
Autre élément de contexte, les attaques de prétendus défenseurs des droits de l’homme qui prenaient à témoin les chefs d’État et de gouvernement de leurs violations.
La directrice de l’ONG Helvetas a été expulsée pour avoir envoyé aux CEG une lettre virulente leur demandant de dénoncer ceux qui allaient les accueillir 6 jours après à l’ASEM., réelles pour certaines, phantasmées pour d’autres – comme les mauvais traitements infligés à certains Hmongs mais pas tous puisque la Présidente de l’assemblée nationale en était issue et qu’une visite dans la région où ils étaient le plus nombreux montrait que beaucoup cherchaient à faire vivre leur identité dans un pays pauvre, pas à attaquer le régime.
Celui-ci était et reste avant tout soucieux de défendre l’intégrité d’un pays qui a dû depuis des siècles la défendre, avant même la colonisation et l’atroce guerre du Vietnam dont le Laos a été – et est encore à travers les bombes non explosées - la victime collatérale.
2/ 10 ans après avoir été enlevé, Sombath n’est pas oublié.
Son épouse Shui Meng a écrit le 15 décembre sur Facebook : « En ce 10ème anniversaire de la disparition de Sombath, je veux rappeler à tous que Sombath a travaillé pendant plus de 30 ans à améliorer les conditions de vie des pauvres du milieu rural en faisant en sorte que les produits de l’agriculture, l’artisanat et autres produits accèdent au marché en créant des entreprises d’échange socialement équitable. Il a fondé Taibaan (appelé formellement Saoban) pour qu’elle permette l’accès au marché d’un artisanat fabriqué par des villageoises. Sombat Somphone ne veut qu’une chose : voir les conditions de vie de Laotiens ordinaires s’améliorer. Nous n’oublierons pas Sombat Somphone. »
Il est d’autant moins oublié que l’association qu’il a fondée, le Padetc, existe et continue plus que jamais à remplir sa mission.
A l’ASEM asiatique suivante, à Oulan Bator en 1976, a été adoptée cette déclaration :
« Enforced Disappearance of Sombath Somphone.
On 15th December 2016, it will be four years since the enforced disappearance of Sombath Somphone. Sombath was one of the main organizers of AEPF9 held in Vientiane just before ASEM9. Sombath’s abduction on 15th December 2012 was captured by a police CCTV camera. Since then, the Lao Government has provided no meaningful information to Sombath’s family, friends and the public about his abduction and continuing disappearance. Instead, successive statements and actions by the Lao Government indicate a continuing denial of its basic responsibility and obligations.
We should be reminded that while concerns continue to be raised in the confines of the Universal Periodic Review and similar human rights dialogues, the policies and programmes of governments, donors, and development agencies remain largely unaltered. While Laos is the chair of ASEAN this year, for the first time in its history the parallel ASEAN People’s Forum must be held in another country.
We remind all ASEM member states of their human rights obligations, both domestically and internationally. We sincerely demand that the Lao Government complete their investigation into Sombath’s disappearance, make public the investigation report, and take forward appropriate legal processes against the perpetrators of the crime. We urge ASEM member states to monitor the fulfillment of these demands and ensure that Sombath and his family receive the justice that is surely their right and that he is returned safely to his family. »
3/ Comme de coutume, tentons de reconstituer les faits.
Ils sont évoqués de manière accablante dans la déclaration ci-dessus. Sombath circulait dans sa voiture personnelle sur une des avenues les plus fréquentées de la ville le 15 décembre quand il a été arrêté. On voit sur les images des caméras de surveillance, images qui ont été filmées par son épouse Shui Meng, inquiète de ne pas le voir revenir, sur les écrans de la police ( !) un homme le faire sortir de force de sa voiture et l’obliger à monter dans un autre véhicule parti ensuite pour une destination inconnue. Personne ne l’a plus jamais revu.
Les images que chacun peut consulter témoignent de l’amateurisme de son enlèvement, cela fait penser aux escadrons de la mort. En général, dans les dictatures y compris au Laos, on s’y prend de manière mieux préparée pour faire disparaître les adversaires du régime.
Elle a en tout cas suscité une émotion considérable y compris dans la communauté diplomatique dans son ensemble au début, notamment singapourienne puisque l’épouse de Sombath en avait la nationalité, mais bien vite les diplomates asiatiques, sans doute sur instructions, ont évité de poser au gouvernement des questions désagréables. Restaient les Occidentaux et en particulier ceux de l’Union européenne dont les représentants n’ont jamais manqué de rappeler le cas Sombath aux Tables rondes sur le développement (de 2013 à 2015) qu’elle co-présidait, dont le rapport était porté au Président Sayasone, ou aux membres laotiens du gouvernement, prenant le risque d’expulsion.
S’ils ont tous considéré comme inacceptable cet enlèvement, ils ont fini par renoncer à interpeller le pouvoir.
D’autre part, des rumeurs très tôt ont tenté de déconsidérer Sombath, l’accusant de s’être enfui en Thaïlande avec une jeune femme et allant jusqu’à prétendre savoir où il se trouvait pour extorquer de l’argent à son épouse (spurce personnelle). L’objectif était comme il est fréquent de terroriser, à telle enseigne qu’une plaisanterie émise auprès d’un directeur adjoint du protocole du ministère des affaires étrangères a suscité de sa part l’effroi : « je ne sais rien, je ne veux rien savoir ».
4/ Pourtant, au plus haut du pouvoir, un homme, un des quatre vice-premier ministres, Somsavat Lengsavad, a montré en maintes occasions qu’il voulait aussi le bien de son pays. A plusieurs reprises, bien que lui-même d’origine en partie chinoise, il a téléphoné en plein entretien au préfet de Luang Prabang, capitale royale dont il était originaire, pour éviter que le chemin de fer chinois ne passe au milieu de la ville. Il a ensuite pris sa retraite en disparaissant de la nomenklatura du Pathet Lao et le chemin de fer a finalement été réalisé, sans qu’aucune relation ne puisse bien sûr être établie entre ces deux faits.
Conclusion : l’auteur de ces lignes ne peut s’empêcher de penser que la disparition de Sombath est plus une bavure qu’un enlèvement décidé au sommet du pouvoir. Il a été victime de rapports de force au sein de l’équipe dirigeante, les « extrémistes » se sentant menacés et trouvant que les « modérés » étaient trop mous – mollesse à relativiser si on pense que le même régime est né dans le massacre du couple royal et la mort d’un nombre indéterminé de Laotiens, la fuite des plus chanceux à travers le fleuve Mékong et encore aujourd’hui expulse ou menace d’expulsion ceux qui osent élever la voix - et ont donc improvisé l’enlèvement d’une personnalité gênante.
Reste que son épouse Shui Meng veut croire qu’il va revenir et la cruauté d’un tel traitement ne saurait faire l’objet d’un pardon – peut-être l’aveu de ceux qui savent sera-t-il formulé un jour.
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What happened to Sombath Somphone ?
Few readers know about him. His disappearance 10 years ago (exactly on the 15 December 2012) was never clarified and nobody, this writer included, knows his wherabouts and the government never explained his disappearance.
But at the same time, Lao high-level officials showed some humanity. How to explain such a paradoxe ?
1/ Sombath’s disappearance had a great resonance
It all started with a double misunderstanding. Laos obtained the organisation, for the first time, of a "dialogue forum", the ASEM, which was still young, but where many chiefs of State or Government (HSG) sit.
It was a question of better balancing the triangle of the United States, Europe and Asia, which the Uruguay Round had shown, with the regular meetings of APEC (Asia Pacific Economic Caucus) creating norms, needed to be balanced by a Euro-Asian branch, and it was the Singaporean Prime Minister Goh Chok Tong, as well as Jacques Chirac, who implemented it as soon as the 1995 presidential election.
The 9th Summit of Heads of State, including President Hollande, and Governments was indeed held on 5-6 November 2012, the Businessmen’s Forum (AEBF) - somewhat acrobatic in a “communist” country - and the People’s Forum (AEPF) as well as the Parliamentary Forum (ASEP). ASEM also gave birth in 1997 to the Culture Forum (ASEF) which is now under a different structure.
A double misunderstanding : Laos, a small, poor, landlocked country in the middle of Asean but still not very open, had raised its finger to say "why not us" when it came to choosing the next Asian host country, probably at the previous Asian ASEM, and no one had felt like saying no. It was also a misunderstanding because ASEM was not only the perfect organisation of a two-day solemn meeting with the top brass of the member countries in a brand new congress center from which the Chinese inscriptions had been removed shortly beforehand, because only Chinese companies paid by China had built it in record time Its inauguration was to coincide with the opening of the Chinese railway line.
It was also the AEPF, People’s Forum. This people’s forum (AEPF) brought together more than a thousand delegates representing NGOs in Vientiane from 16 to 19 October 2012.
It was there that Sombath, founder in 1996 of the PADETC association and awarded the "Ramon Magsaysay prize" in 2005 for having ensured community development in his country, came to the fore and took the risk of his abduction. The AEPF meeting was held at the French Institute in Vientiane, the only meeting room large enough and not affiliated to the Pathet Lao. The audience in the stands inevitably included a good number of plainclothes policemen who heard the courageous Sombath attacking the appropriation of land by the rich at the expense of the peasants and defending a less unequal society - he never attacked capitalism, preferring concrete action to political slogans which he knew led nowhere.
Another element of context, the attacks of so-called human rights defenders who took the Heads of State and Government as witnesses of their violations The director of the NGO Helvetas was expelled for sending a strongly worded letter to the CEGs, asking them to denounce those who were going to host them 6 days later at ASEM ; phantasmal for others - such as the ill-treatment inflicted on some Hmongs but not all, since the President of the National Assembly came from them and a visit to the region where they were most numerous showed that many were seeking to make their identity live in a poor country, not to attack the regime. The latter was and remains above all concerned with defending the integrity of a country that has had to defend it for centuries, even before colonisation and the atrocious Vietnam war of which Laos was - and still is through unexploded bombs - the collateral victim.
2/ 10 years after his abduction, Sombath is not forgotten.
His wife Shui Meng wrote on Facebook on 15 December : "On this 10th anniversary of Sombath’s disappearance, I want to remind everyone that Sombath worked for more than 30 years to improve the living conditions of the rural poor by bringing agricultural, handicrafts and other products to market through the creation of socially equitable trading enterprises. He founded Taibaan (formally called Saoban) to provide market access for crafts made by village women. Sombat Somphone wants only one thing : to see the living conditions of ordinary Laotians improve. We will not forget Sombat Somphone.”
He is not forgotten because the association he founded, Padetc, exists and continues to fulfil its mission more than ever.
At the next Asian ASEM, in Ulan Bator in 1976, this declaration was adopted :
« Enforced Disappearance of Sombath Somphone.
On 15th December 2016, it will be four years since the enforced disappearance of Sombath Somphone. Sombath was one of the main organizers of AEPF9 held in Vientiane just before ASEM9. Sombath’s abduction on 15th December 2012 was captured by a police CCTV camera. Since then, the Lao Government has provided no meaningful information to Sombath’s family, friends and the public about his abduction and continuing disappearance. Instead, successive statements and actions by the Lao Government indicate a continuing denial of its basic responsibility and obligations.
We should be reminded that while concerns continue to be raised in the confines of the Universal Periodic Review and similar human rights dialogues, the policies and programmes of governments, donors, and development agencies remain largely unaltered.
While Laos is the chair of ASEAN this year, for the first time in its history the parallel ASEAN People’s Forum must be held in another country.
We remind all ASEM member states of their human rights obligations, both domestically and internationally. We sincerely demand that the Lao Government complete their investigation into Sombath’s disappearance, make public the investigation report, and take forward appropriate legal processes against the perpetrators of the crime. We urge ASEM member states to monitor the fulfillment of these demands and ensure that Sombath and his family receive the justice that is surely their right and that he is returned safely to his family. »
3/ As usual, let us try to tell the facts.
They are overwhelmingly stated in the above statement. Sombath was driving in his private car on one of the city’s busiest avenues on 15 December when he was arrested. Surveillance camera footage, which was captured by his wife Shui Meng, who was worried that he would not return, showed a man forcing him out of his car and into another vehicle bound for an unknown destination on the police monitors. No one ever saw him again.
The images that everyone can see show the amateurishness of his abduction, reminiscent of death squads. In general, in dictatorships, including Laos, there is a well-prepared way to make opponents of the regime disappear.
In any case, it initially aroused considerable emotion in the diplomatic community as a whole, particularly in Singapore since Sombath’s wife was a Singaporean, but Asian diplomats, no doubt under instructions, quickly avoided asking the government any unpleasant questions. That left the Westerners, and in particular the European Union, whose representatives never failed to bring up the Sombath case at the Development Round Tables from 2013 to 2015 it co-chaired, whose report was brought to President Sayasone, or to Laotian members of the government, risking expulsion.
Although they all considered this abduction unacceptable, they eventually gave up calling on the authorities.
On the other hand, rumours very early on tried to discredit Sombath, accusing him of having fled to Thailand with a young woman and even claiming to know where he was in order to extort money from his wife. The aim was, as is common, to terrorise, so much so that a joke made to a deputy director of protocol at the foreign ministry caused him to be appalled : "I know nothing, I don’t want to know anything".
4/ Yet, at the top of the power, one man, one of the four deputy prime ministers, Somsavat Lengsavad, has shown on many occasions that he also wanted the good of his country. On several occasions, although he himself was of part-Chinese origin, he phoned the governor of Luang Prabang, the royal capital from which he came, in the middle of a meeting to prevent the "Chinese" railway from passing through the middle of the city. He then retired and disappeared from the Pathet Lao nomenklatura and the railway was finally built, although no connection can be made between these two facts.
Conclusion : the author of these lines cant help thinking that Sombath’s disappearance is more a blunder than a kidnapping decided at the top of the power. He was the victim of struggles within the leadership team, the "extremists" feeling threatened and finding the "moderates" too soft - their softness should be relativized remembering that the same regime was born in the assassination of the royal couple and numerous Laotians, the luckiest escaping by crossing the Mekong river and still today expels or threatens to do it those who dare raise their voice – and thus organized the abduction of a troublesome personality.
However, his wife Shui Meng wants to believe that he will return and the cruelty of such a treatment cannot be forgiven - perhaps the confession of those who know will be made one day.
Yves Carmona